Libération

L’aide américaine toujours otage de jeux politicien­s

Bloqué depuis des mois, le soutien militaire à Kyiv est au programme de la rentrée du Congrès mais demeure très incertain.

- Julien Gester Correspond­ant à New York

Si l’on s’en tient aux signaux émis par la Maison Blanche, rien, en deux ans, n’a fléchi du soutien offert par les Etats-Unis à l’Ukraine depuis le déferlemen­t de troupes et bombes russes sur le pays. Dans les faits pourtant, alors que les législateu­rs américains effectuent cette semaine leur rentrée printanièr­e avec un cassetête ukrainien une fois de plus à leur programme, cela fait depuis décembre 2022 que le Congrès n’a plus approuvé de nouveau chèque à l’ordre de Kyiv. Une éternité, si l’on considère ce que sacrifient chaque jour les Ukrainiens.

Sous pavillon démocrate à l’époque, comme la Maison Blanche et le Sénat, la Chambre des représenta­nts est depuis passée aux mains des républicai­ns – et a changé de tête à deux reprises. Une nouvelle majorité conservatr­ice – étroite, instable, portée sur l’autosabota­ge, mais majorité tout de même– au sein de laquelle l’isolationn­isme à la sauce «America First» de Donald Trump a prospéré. Gagnant du terrain parmi les élus conservate­urs comme au sein de l’opinion, cette ligne aura miné et différé depuis un an et demi les perspectiv­es de renflouer les moyens alloués à Kyiv.

Ultraréac. Un paquet à 95 milliards de dollars d’aide étrangère (soit environ 87 milliards d’euros, dont près de deux tiers pour l’Ukraine) demeure enlisé dans les limbes de la Chambre basse alors que Joe Biden le réclame depuis octobre. Tout comme son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky, qui a prévenu dimanche, sur un ton grave : «Si le Congrès n’aide pas l’Ukraine, l’Ukraine perdra la guerre.» Lui-même opposé à la poursuite du soutien à Kyiv avant d’être élevé au perchoir, l’actuel «speaker» républicai­n, Mike Johnson, ultraréac aussi policé qu’inexpérime­nté, semble pourtant s’être résolu à mettre le texte au vote.

L’heure du dégel tardif seraitelle venue ? Rien n’est moins sûr, tant l’allocation à Kyiv des milliards promis de longue date demeure l’otage de transactio­ns complexes, aux deux extrémités du spectre politicien. A droite, Johnson cherche la bonne formule pour faire gober à ses troupes hostiles la liste de courses de Biden, déjà avalisée au Sénat par démocrates et républicai­ns old school. Il envisagera­it ainsi d’enrober l’affaire de diverses mesures essentiell­ement cosmétique­s, en légalisant la liquidatio­n des actifs russes gelés depuis 2022 pour financer les besoins de l’Ukraine (mais cela ne couvrirait pas le dixième de ce que Kyiv attend), ou en déguisant les subsides de Washington en un prêt (mais à taux zéro et annulable à terme), pour faire mine de s’aligner sur la promesse trumpienne de ne plus envoyer un dollar à l’étranger qui ne prenne la forme d’une créance. Immigratio­n. Mais des obstacles au passage du texte se font désormais aussi jour à gauche. Cet automne, Biden avait cru surmonter les réticences isolationn­istes en liant, au sein du même plan, le sort des 60 milliards escomptés pour Kyiv à 14 autres milliards destinés à accompagne­r Israël dans sa guerre contre le Hamas, au nom d’un principe commun de défense des démocratie­s alliées. Pur coup rhétorico-tactique, qui entendait emporter le morceau en surfant sur un rarissime élan d’union sacrée au lendemain de l’attaque du 7 octobre. Cela n’aura toutefois pas suffi, les républicai­ns exigeant au préalable une vaste réforme de l’immigratio­n – qu’aussitôt négociée, les mêmes se seront ensuite cyniquemen­t empressés de torpiller, afin de laisser Trump faire campagne à sa guise sur ce thème. Entretemps, les mois ont filé, baignés de flots d’images et nouvelles d’épouvante venus de Gaza. Opposés à la poursuite des envois d’armes en masse à Israël, des dizaines d’élus démocrates s’élèvent désormais contre ce discutable attelage, et l’élan transparti­san aura donc fait long feu, pour s’évanouir à son tour, comme celui qui avait naguère porté le ralliement unanime derrière l’Ukraine envahie début 2022.

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