MARSEILLE La bataille sans fin des sinistrés de la rue de Tivoli
Le 9 avril 2023, l’effondrement de deux immeubles marseillais coûtait la vie à huit personnes. Un an plus tard, les délogés se heurtent à un vide juridique et peinent à obtenir des remboursements de la part des assureurs.
Un spectaculaire maillage d’étais quadrille le haut des façades de part et d’autre de la chaussée, chaque côté soutenant l’autre. Derrière les barrières qui bloquent l’accès au périmètre, gardienné nuit et jour, on aperçoit le trou laissé par les numéros 17 et 15. Cela fera un an, le 9 avril, que la rue de Tivoli s’est figée. Cette veille de Pâques, vers 0h40, une explosion de gaz entraîne l’effondrement d’un immeuble de quatre étages dans la petite voie résidentielle du centre-ville marseillais, fragilisant le bâtiment voisin qui s’écroulera, lui, au petit matin. Les secours s’activeront plusieurs jours pour tenter de dompter l’incendie qui s’était déclenché sur le site dans la foulée, compliquant à l’extrême la recherche des disparus dans les décombres. Huit corps seront finalement retrouvés et identifiés. Tous des habitants du numéro 17, l’immeuble soufflé par l’explosion. Un hommage leur sera rendu mardi, par les habitants de leur quartier, le Camas.
Les résidents du numéro 15 avaient pu être évacués avant son effondrement, comme ceux du 19, partiellement détruit par la déflagration. A leur suite, quelque 200 personnes habitant dans un large périmètre de sécurité incluant plusieurs rues ont dû quitter dans l’urgence leur appartement. Quatorze immeubles restant toujours interdits d’occupation, même si les travaux de sécurisation sont presque terminés. Très vite, plusieurs de ces sinistrés ont créé l’association Collectif Tivoli 9 avril. Un an après la catastrophe, leur quotidien est toujours coincé dans une bataille sans fin pour obtenir réparation.
Frais à engager
Jusqu’au 9 avril 2023, Roland Bellessa, ingénieur de métier, vivait avec sa femme et ses deux enfants dans un duplex acheté quatre ans plus tôt au numéro 15 de la rue de Tivoli, celui qui a cédé au lendemain de l’explosion. «Les premiers jours, on s’est occupés de récupérer des choses dans l’urgence. Mais on n’avait pas de doute: on savait que ça allait être des années de galère…» Car si la catastrophe est collective, les compagnies d’assurances réagissent comme pour un sinistre classique, au cas par cas : elles couvrent le préjudice, comme prévu par le contrat, en attendant de pouvoir se retourner contre le responsable. Ce qui, dans ce genre d’accidents collectifs, peut prendre des années : l’enquête ouverte pour «homicides et blessures involontaires» et élargie, en janvier dernier, aux faits de «destruction, dégradation, détérioration involontaire par explosion ou incendie» ne fait que commencer. Les assurés sont donc priés d’attendre le dénouement judiciaire, alors que les frais à engager sont dès à présent très importants, certains travaux de réparation atteignent plusieurs centaines de milliers d’euros, sans parler d’une reconstruction totale dans le cas du numéro 15. Complexité supplémentaire, d’un contrat à l’autre, la prise en charge
n’est pas la même. L’assurance de Roland Bellessa lui paye son loyer. Une nécessité, puisque même si son appartement est détruit, il continue à payer son crédit immobilier, étant toujours propriétaire de la parcelle… Cette couverture de loyer était prévue sur un an. Dans son cas, l’assurance de l’immeuble va prendre le relais pour une année supplémentaire, mais pour d’autres ? «Et dans deux ans, pointe-t-il, le problème ne sera pas réglé. Je devrais payer les deux, crédit et loyer ?» Ce parcours du combattant, l’Etat semblait pourtant l’avoir anticipé, en instaurant dès les premiers mois un Comité local d’aide aux victimes (Clav) pour permettre de faire le lien entre les besoins des sinistrés et les assurances. Mais après trois rendezvous en préfecture, en présence du Collectif et des représentants des assureurs, mais aussi de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac) qui accompagne les sinistrés marseillais, «aucune avancée significative n’a pu être obtenue. Le soutien appuyé des différentes institutions publiques (nationale et locale), que nous croyons sincère, vis-à-vis de l’obtention d’un processus indemnitaire, demeure malheureusement inefficace face à des assureurs tout puissants dans ce dossier», a encore écrit fin mars le Collectif dans une lettre adressée au Premier ministre. Le maire de Marseille a lui-même adressé une missive dans le même sens au gouvernement, sans plus de succès.
«Médiation judiciaire»
Lors de la dernière réunion du Clav, en décembre, les représentants des assurances ont rappelé leur refus d’accéder à la demande principale des sinistrés : la mise en place d’un accord-cadre permettant une couverture globale des dommages, matériels comme corporels, sans attendre l’établissement des responsabilités judiciaires. Une sorte de fonds d’avance d’indemnisations, comme celui mis en place suite à l’explosion de la rue de Trévise, à Paris en 2019, qui avait causé la mort de quatre personnes et provoqué plus de 400 sinistrés. Si France Assureurs, qui fédère l’ensemble de la profession, assure que dans le cas marseillais, les compagnies ont déjà fait un pas en acceptant la prise en charge «pour le compte de qui il appartiendra» des dommages corporels, pour les dommages matériels, c’est une fin de non-recevoir. Le scénario n’étonne pas Linda Zaourar, la présidente de Victimes et rescapés de l’explosion de la rue de Trévise (Vret). Très vite, elle a fait le déplacement à Marseille pour rencontrer les sinistrés et leur conseiller de se regrouper en collectif pour affronter la montagne qui s’annonçait. Depuis, elle est en lien régulier avec Roland Bellessa, qui copréside le collectif marseillais. «On espérait que les institutions allaient tirer les leçons de ce qui nous est arrivé, mais je n’en ai pas l’impression, déplore-t-elle. On laisse des gens avec leur traumatisme mener un combat pour leur prise en charge face à des assureurs qui se sentent tout permis.»
Car la loi ne les contraint pas : si pour une catastrophe naturelle ou un attentat, un fonds de garantie permet d’assurer les indemnisations au plus vite, dans ce type d’accident collectif bâtimentaire, c’est le vide juridique. Changer la loi, c’est l’un des combats aujourd’hui menés par la Vret, qui a écrit aux présidents de groupe à l’Assemblée nationale après l’explosion de Tivoli pour leur demander à nouveau de plancher sur le sujet. Sans réponse pour l’heure.
Dans le cas de la rue de Trévise, il avait fallu trois ans et demi d’âpres négociations pour obtenir enfin un accord-cadre. C’est finalement l’action en justice intentée par les avocats des sinistrés qui a débloqué la situation. Une stratégie à laquelle les Marseillais réfléchissent : un groupe d’avocats de sinistrés a annoncé au Figaro qu’ils planchaient sur une assignation en référé pour «obtenir une médiation judiciaire afin d’être associés aux discussions», explique Romain Dinparast, l’avocat de plusieurs délogés. Le référé devrait être déposé en début de semaine, à l’approche de la date anniversaire. L’hommage pour les victimes, le Collectif Tivoli 9 avril l’a pensé simple, sans discours, un rassemblement pour se recueillir à l’angle de la rue. Un temps de silence pour se souvenir des victimes, où ils n’évoqueront pas leur difficile reconstruction. «Est-ce qu’être dans l’action aide à faire son deuil ou est-ce qu’il y aura un retour de bâton parce qu’on n’a pas pris le temps de réaliser ?, s’interroge Roland Bellessa. Est-ce que quand le combat que l’on mène sera derrière nous, ce sera digéré ou est-ce que je refoule ? Aujourd’hui c’est la peur que j’ai.» •
«On n’avait pas de doute : on savait que ça allait être des années de galère…»
Roland Bellessa rescapé