L’Equateur isolé après son invasion de l’ambassade du Mexique
Rupture de relations, pluie de critiques… La brutale capture à Quito d’un ancien vice-président, censé être à l’abri dans une enceinte diplomatique, fait l’unanimité contre le gouvernement du libéral Daniel Noboa.
Du président argentin Javier Milei à ses homologues brésilien, Lula, et chilien, Gabriel Boric, en passant par le Vénézuélien Nicolás Maduro, la réprobation est unanime. Quel événement a pu mettre d’accord des gouvernements latino-américains de tous bords, de l’extrême droite aux gauches radicales ou réformistes? Trois jours après l’invasion par la police de l’ambassade du Mexique à Quito, vendredi, les critiques continuent de pleuvoir sur le président de droite Daniel Noboa, qui a ordonné l’arrestation de l’ancien viceprésident Jorge Glas, sous le coup d’enquêtes pour corruption et réfugié depuis décembre dans une enceinte diplomatique supposée inviolable.
Dans les heures qui ont suivi l’invraisemblable épisode, le Mexique a annoncé la rupture de ses relations avec l’Equateur et le rappel de son ambassadrice. Le personnel diplomatique mexicain a quitté Quito dimanche par des vols commerciaux. Dans le groupe figurent l’ambassadrice Raquel Serur et le chef de la mission diplomatique Roberto Canseco, qui a tenté de s’opposer à l’intrusion. Des images virales ont montré comment les policiers l’ont bousculé sans ménagement et fait tomber à terre.
«Abus». L’ONU s’est jointe samedi aux critiques par la voix de son secrétaire général, António Guterres, qui s’est dit «alarmé» par le raid, estimant qu’une violation d’enceinte diplomatique «compromet la poursuite de relations internationales normales». La dirigeante de gauche du Honduras, Xiomara Castro, présidente par roulement de la Communauté des Etats d’Amérique latine et des Caraïbes (Celac), a convoqué une réunion d’urgence de l’organisme pour ce lundi. Un seul pays cependant a rompu ses relations avec l’Equateur, en solidarité avec le Mexique : le Nicaragua du président-dictateur Daniel Ortega, mal placé pour donner des leçons de respect de la démocratie. Le président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, a dénoncé une «violation flagrante […] de la souveraineté» de son pays et s’est dit prêt à porter l’affaire devant la Cour internationale de justice. L’invasion de vendredi est l’aboutissement d’une longue crise entre les deux pays, entamée le 17 décembre, quand Jorge Glas, deux fois viceprésident entre 2013 et 2018, s’est réfugié à l’ambassade du Mexique pour échapper à un mandat d’arrêt lancé dans une enquête pour détournements de fonds. Fidèle du président de gauche Rafael Correa, il avait été arrêté en 2017 sous la présidence de Lenín Moreno, accusé d’avoir perçu des commissions occultes de la part du géant du BTP brésilien Odebrecht. Destitué en 2018, il avait été condamné à huit ans de prison.
Plusieurs fois libéré puis emprisonné, Glas devait d’une part retourner derrière les barreaux après la révocation de sa liberté conditionnelle, d’autre part répondre de nouvelles accusations dans une enquête sur des détournements de fonds destinés aux sinistrés du tremblement de terre de 2016. Il a toujours clamé son innocence dans les différents dossiers. La semaine dernière, après avoir examiné son cas, le Mexique annonçait que le statut de réfugié politique lui était accordé.
Indignées, les autorités équatoriennes avaient qualifié cette décision d’«illégale», dénonçant un «abus des immunités et privilèges» accordés à l’ambassade, et une ingérence dans ses affaires intérieures.
Pour Quito, l’asile politique ne peut bénéficier à des justiciables de droit commun. Et le fait que Mexico ait accordé sa protection au condamné Jorge Glas justifiait son intervention armée, et le non-respect de la convention de Vienne de 1971. Ce traité fondamental dans le droit international garantit l’inviolabilité des enceintes diplomatiques, considérées comme une partie du territoire du pays, suivant le principe d’extraterritorialité.
Tradition. Le président mexicain n’a cependant rien fait pour calmer la tension : mercredi, il avait accusé en public les autorités équatoriennes d’avoir exploité l’assassinat du candidat d’opposition Fernando Villavicencio, le 9 août 2023, à quelques jours du premier tour de la présidentielle, pour favoriser l’élection du libéral Noboa au détriment de la candidate de gauche Luisa González. Des propos jugés offensants par Quito.
Une autre raison de l’indignation contre le coup de force est l’atteinte à une très ancienne tradition d’accueil des réfugiés par le Mexique. Au fil des décennies en ont bénéficié les victimes du communisme soviétique (comme Léon Trotski), les républicains espagnols chassés par Franco, ou les révolutionnaires cubains, Fidel Castro en tête.
Une tradition dont s’est souvenue Isabel Allende Bussi, députée chilienne et fille cadette du défunt président de gauche Salvador Allende. «Même Pinochet n’avait pas osé envahir une ambassade», a-t-elle réagi sur X. Ellemême avait été accueillie, après le coup d’Etat du 11 septembre 1973, à l’ambassade du Mexique à Santiago, après le suicide de son père. Elle avait ensuite pu gagner le Mexique avec plusieurs membres de sa famille, et y a vécu de longues années. Plusieurs ambassades avaient alors ouvert leurs portes à des militants de gauche recherchés par les putschistes, et le statut d’inviolabilité avait sauvé la vie à nombre d’entre eux. •