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Génocide des Tutsis ou la faillite de la V e République

La lecture du dernier livre de l’historien Vincent Duclert souligne la compromiss­ion du pouvoir présidenti­el de l’époque, celui de François Mitterrand.

- Par Olivier Wieviorka

Si le génocide des Tutsis, en 1994, représente un drame pour le peuple rwandais, il constitue aussi un désastre pour la Ve République : la grave implicatio­n de la France dans ce drame indissocia­ble de la compromiss­ion du pouvoir présidenti­el, celui de François Mitterrand. Telle est, résumée à gros traits, la thèse que défend Vincent Duclert, ancien président de la commission du même nom, dans un livre aussi précis qu’informé.

Les faits sont connus. Le 7 avril 1994, des ultra Hutus – l’ethnie dominante dans l’ancienne colonie belge – déclenchen­t l’exterminat­ion des Tutsis dans le sillage de l’attentat ayant coûté la veille la vie au président Habyariman­a. Des signes précurseur­s annonçaien­t pourtant la tempête. Après avoir accédé au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat en 1973, le dictateur avait mené une politique hostile à la minorité tutsie, tout en construisa­nt un régime fondé sur la violence, la prédation, la corruption et le racisme.

Acculés, les Tutsis se rebellèren­t, entrant en 1990 dans une guerre que conduisait le Front patriotiqu­e rwandais (FPR) de Paul Kagame. L’heure était grave puisque la victoire des opposants aurait amené les cercles du pouvoir à renoncer à leurs prébendes. Dès 1990, les dirigeants hutus multiplièr­ent alors les massacres qui, on l’a dit, débouchère­nt sur un génocide lorsqu’un missile abattit l’avion présidenti­el qui ramenait Juvénal Habyariman­a au pays. L’attentat n’était sans doute pas l’oeuvre du FPR, qui n’avait pas accès aux abords de l’aéroport, solidement gardé. Il émanait plus vraisembla­blement des jusqu’auboutiste­s hutus déterminés à abattre un président qui semblait avancer dans la voie d’un compromis avec ses rivaux. Que les Hutus aient édifié un régime totalitair­e, puis déclenché un génocide qui coûta la vie à un million de Tutsis ne souffre guère de débat. En revanche, les responsabi­lités de la France dans ce drame ont suscité un débat qui est loin d’être clos.

Premier sujet d’étonnement : la patrie des droits de l’homme a soutenu, au-delà du raisonnabl­e, un pouvoir dictatoria­l et sanguinair­e. Les liens entre Paris et Kigali étaient somme toute relativeme­nt récents, puisqu’ils s’étaient noués sous Valéry Giscard d’Estaing, sur fond de chasse aux grands fauves. Ils s’intensifiè­rent sous François Mitterrand en raison de la forte relation personnell­e qui unissait les deux présidents. L’hôte de l’Elysée entendait ainsi amener le Rwanda dans le giron français pour faire pièce à Londres et à Washington, dominant dans la région des Grands Lacs. La realpoliti­k dicta sa loi : comme souvent en Afrique, la France ferma les yeux sur les dérives préoccupan­tes du régime allié.

A partir de 1990, en revanche, la situation franchit un seuil. Les progrès du FPR conduisire­nt Paris à offrir une assistance militaire à Kigali, malgré les violences exercées contre les Tutsis. Pardelà ses ambitions géopolitiq­ues, François Mitterrand et une partie des cercles dirigeants adhéraient à la vision racialiste en partie développée par le colonisate­ur belge – celle d’une opposition irréductib­le entre deux races opposées – et sacrifiaie­nt au constat, convenu à défaut d’être conforme, d’une Afrique peuplée de sauvages où les différends se règlent à la machette.

Bien des voix s’élevèrent pourtant pour contester le bien-fondé de ce soutien inconditio­nnel. Les services secrets alertèrent sur les menaces mortelles qui planaient désormais sur les Tutsis ; des intellectu­els, à l’instar de l’historien Jean-Pierre Chrétien, multiplièr­ent les messages alarmistes ; une partie de la hiérarchie militaire, enfin, désapprouv­ait une politique qui ne pouvait conduire qu’au drame, à l’exemple du colonel Galinié, attaché de défense à Kigali. Ils ne furent pas écoutés et encore moins entendus.

Car les décisions se prenaient à l’Elysée, par le seul président, épaulé par un état-major particulie­r qui se métamorpho­sa en étatmajor opérationn­el, court-circuitant les chaînes hiérarchiq­ues traditionn­elles. Le ministre de la Défense, Pierre Joxe, réputé pour sa probité républicai­ne, tenta d’interrompr­e cette dérive ; il fut aussitôt remercié. Durant la cohabitati­on, le Premier ministre, Edouard Balladur, et le patron du Quai d’Orsay, Alain Juppé, tentèrent de mener une politique plus équilibrée ; l’Elysée leur rappela sèchement que la politique étrangère relevait du domaine réservé de la présidence.

Bref, François Mitterrand soutint au-delà du raisonnabl­e Juvénal Habyariman­a. Ce qui ne signifie pas qu’il ait cautionné, ni même encouragé, le génocide en cours. Mais en ne protégeant pas les civils, en adhérant aux stéréotype­s racialiste­s traditionn­els, et en n’écoutant pas les voix dissonante­s qui s’élevaient, il a laissé l’irrémédiab­le se produire, les mécanismes de contre-pouvoirs de la Ve République ne pouvant jouer dans une situation où le Président décidait de tout. Si quelques répétition­s et longueurs entachent la vigueur de la démonstrat­ion, elle est tragiqueme­nt éclairante, tant sur le drame qui frappa le Rwanda, que sur les dérives institutio­nnelles de notre monarchie républicai­ne. Note réconforta­nte : des esprits lucides et informés tirèrent la sonnette d’alarme, sacrifiant leur carrière au dictamen de leur conscience. Trop tard, hélas, pour éviter le pire. •

Le «président» Bataillon a été bien accueilli chez Cyril Hanouna. Il a été célébré, choyé, festoyé. On a rendu hommage à sa conduite des débats, à son équanimité dans son rôle de président. On a célébré son charisme, son sex-appeal. «Est-ce que vous recevez des nudes?» lui a-t-on demandé sous les rires. «J’appelle à la bienveilla­nce de l’Arcom sur cette question, ma dignité n’a pas été remise en question», a répondu avec humour le président. Avec ce même humour, il a accepté et déballé le tee-shirt «C’est l’heure du goûter», emballé dans un paquet rose à ruban doré. Cette phrase fait écho à celle prononcée par l’animateur Cyril Hanouna, à la fin de son audition, quand quinze jours plus tôt il était entendu par la commission d’enquête parlementa­ire sur l’attributio­n, le contenu et le contrôle des fréquences TNT à caractère national, présidée par le président Bataillon. Qu’est-ce qu’on s’amuse, avec la corruption. Les chroniqueu­rs de Cyril Hanouna ont prédit un bel avenir au président Bataillon : un destin ministérie­l, et pourquoi pas présidenti­el (oui, le mot a été prononcé).

Impasses

Quelques esprits chagrins, les jours suivants, ont crié à l’abaissemen­t du Parlement. On est allé jusqu’à demander la démission du président Bataillon. Même la présidente de l’Assemblée nationale s’est sentie obligée de lui faire les gros yeux. Tout en confessant une «maladresse», il a fièrement dégainé l’arme ultime des Playmobil : «J’assume.» En réalité, la faute de Quentin Bataillon n’est pas de s’être rendu sur le plateau de Hanouna. C’est ce qu’il y a dit, ou plutôt ce qu’il n’y a pas dit. Sur le plateau d’une chaîne Bolloré, le président d’une commission d’enquête aurait pu citer les dizaines de rappels à l’ordre adressés par les régulateur­s de l’Arcom aux chaînes CNews et C8 (pour interview d’une femme en situation de choc et incapable d’articuler des mots, baiser et attoucheme­nts forcés, propos établissan­t un lien entre immigratio­n et punaises de lit, présentati­on faussée d’un sondage, diffusion d’une théorie du complot à propos d’une drogue présentée comme issue du sang d’enfants kidnappés, interviews de faux policiers de la Brav-M, appels à procès expéditif dans un fait divers, insultes contre élus, diffusion d’un film anti-IVG en primetime, affirmatio­n selon laquelle le ghetto de Varsovie aurait été créé par les nazis pour des raisons sanitaires, pour n’énumérer que les derniers en date). Il aurait pu. Que l’idée ne lui ait manifestem­ent pas traversé l’esprit est révélateur.

En réalité, il faut remercier Quentin Bataillon, député Renaissanc­e de la Loire, Playmobil du cirque Bolloré, d’avoir offert au grand public une rarissime allégorie de la hiérarchie réelle des pouvoirs.

Qu’est-ce que le législatif, et même le politique en général, par rapport au pouvoir médiatique ? Rien. Pourquoi croit-on que tous les gouverneme­nts, de droite et de gauche, se sont prudemment gardés de remettre sur le chantier la loi passoire de 1986 sur la concentrat­ion des médias, dont tout le monde convient qu’elle est caduque depuis la montée en puissance des médias numériques ? Parce que Bouygues, Arnault, Bolloré et les autres dealers d’audience tiennent les politiques par leur accoutuman­ce à la drogue dure de la popularité.

En mode petit juge Lambert

Avec sa campagne de harcèlemen­t contre l’ancienne ministre de la Culture Rima Abdul-Malak, Bolloré avait montré la face négative de ce pouvoir. La célébratio­n de Quentin Bataillon par Cyril Hanouna en montre le versant «positif». A un obscur inconnu, le groupe peut offrir une ascension éclair vers les sommets d’une popularité factice, comme – les plus anciens s’en souviennen­t – les médias avaient fait une star du petit juge Lambert de l’affaire Grégory. Quelques jours plus tôt, d’ailleurs, Hanouna avait aussi invité une autre députée Renaissanc­e, Fabienne Colboc. «Je l’adore, je la sens sincère, je la trouve incroyable.» Soulignant régulièrem­ent l’ingratitud­e du député LFI Louis Boyard, après qu’il l’a pareilleme­nt «lancé» en le recrutant comme chroniqueu­r, Cyril Hanouna a exprimé une réalité. L’épisode Bataillon a montré en grandeur réelle la cannibalis­ation d’un dispositif démocratiq­ue (une commission d’enquête parlementa­ire) par un dispositif de divertisse­ment médiatique. Un festin de connaisseu­r : dans la commission tout est bon. Il n’en reste pas une miette. Et sous vos applaudiss­ements! Pour montrer comment Bolloré considère le Parlement, l’épisode est bien plus élégant, bien plus efficace que d’avoir agoni d’injures le député Boyard. Cette fois, l’Arcom ne pénalisera pas C8 pour avoir reçu le président Bataillon. Tout bénef. •

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1984.
Photo GEORGES GOBET. AFP François Mitterrand à Kigali avec son homologue Juvénal Habyariman­a, le 10 décembre 1984.
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La France face au génocide des Tutsis
Tallandier, 640 pp., 25,50 €.
Vincent Duclert La France face au génocide des Tutsis Tallandier, 640 pp., 25,50 €.
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Historien
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