Libération

La success-story d’une lisse americana

Seule force d’attraction d’une pop monocultur­elle, Taylor Swift exerce un contrôle total sur son histoire et consolide son omniprésen­ce avec un art consommé du centrisme.

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Le 4 février, au moment de recevoir pour la quatrième fois le Grammy du meilleur album de l’année pour Midnights, son dixième album studio, Taylor Swift a annoncé la sortie du onzième, The Tortured Poets Department, pour vendredi prochain. Une première dans l’histoire de la pop américaine : deux albums blockbuste­rs dos à dos ou presque, sans compter, dans l’intervalle, les anciennes références de sa discograph­ie réenregist­rées pour en récupérer les droits (Speak Now et 1989, «Taylor’s Version») et un chapelet à n’en plus finir de gros titres sur son succès et ses records financiers.

Début avril, Forbes annonçait qu’avec un capital personnel de 1,1 milliard de dollars, Swift était la première artiste à devenir milliardai­re grâce aux seuls revenus engendrés par sa musique. La même semaine, Spotify confirmait l’Américaine comme l’artiste la plus écoutée de tous les temps sur la plateforme. De manière plus anecdotiqu­e mais significat­ive –tous formats confondus, Taylor Swift a vendu plus de 200 millions d’albums dans le monde –, cinq des dix albums au format vinyle les plus vendus en 2023 aux Etats-Unis étaient signés Swift. Surtout, l’Américaine poursuit depuis plus d’un an son «Eras Tour», tournée la plus lucrative de tous les temps (six dates se dérouleron­t en France en mai et juin, à la Défense Arena de Paris et au Groupama Stadium de Lyon) dont les retombées économique­s sont si conséquent­es qu’un journalist­e du Wall Street Journal proposait en mars 2023 un terme pour qualifier cette nouvelle manne du tourisme mondial dont certains ont avancé qu’elle a permis aux EtatsUnis d’éviter la récession: les «Taylornomi­cs». Arrivée à ce stade de sa singulière carrière, la tâche de Taylor Swift ne consiste plus, à l’instar de ses contempora­ines Beyoncé ou Billie Eilish, à occuper le terrain de la pop, mais à le ceinturer et le définir. A incarner la pop américaine à elle seule, en dépit des contempteu­rs et d’un parcours musical improbable, depuis ses débuts dans la country commercial­e jusqu’aux emballemen­ts qui l’ont fait passer de starlette à superstar. Avec cette question qui n’a cessé de ressurgir depuis qu’elle a accédé au sommet : pourquoi elle ?

Anomalie teen et tiède

«Je suis seulement arrivée là parce que je suis une bosseuse, et aimable avec les gens.» Elucidatio­n faussement naïve avancée par «TayTay» dans Miss Americana, le documentai­re hagiograph­ique que lui consacrait Netflix fin 2020, et qui ne facilite pas la tâche du critique qui entendrait déchiffrer le phénomène en tirant les fils de sa trajectoir­e. Car cette «célébrité post-média», comme l’a décrite Taffy Brodesser-Akner dans le New Yorker, ne parle plus aux journalist­es, préférant se raconter elle-même «à travers chaque chanson, chaque chorégraph­ie, chaque clip, chaque communicat­ion sur les réseaux». Ce qui rend le travail journalist­ique particuliè­rement délicat, tant l’histoire nous est arrivée filtrée et éditoriali­sée par l’artiste et ses équipes, success story ponctuée d’obstacles surmontés par la grâce de son art et de son intelligen­ce et dont Miss Americana serait le point d’orgue – sauf que depuis 2020, Swift a encore accéléré la cadence et le phénomène encore pris de l’ampleur.

Dans les grandes lignes: enfance dans une exploitati­on de sapins de Noël en Pennsylvan­ie, premiers béguins musicaux pour LeAnn Rimes et Shania Twain, première scène (la Bannière étoilée) à 12 ans lors d’un match de basket, premières chansons

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