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Sud-Liban : «S’il y a d’autres frappes, on n’aura plus rien pour se soigner»

Après six mois d’échanges de tirs entre le Hezbollah et l’armée israélienn­e, les nouvelles limites franchies dans le conflit font redouter le pire aux derniers habitants de la bande frontalièr­e.

- Par Arthur Sarradin, Envoyé spécial dans le Sud-Liban

Une frappe, puis deux, puis trois. Le village perché de Sriri, dans le sud du Liban, tremble à chaque bombardeme­nt israélien, en contrebas de la falaise. Les habitants font mine de ne pas prêter attention aux panaches de fumée qui se dégagent de la vallée, habitués depuis six mois à cette scène devenue d’une tragique banalité. Depuis octobre, dans cette région voisine du Golan, les échanges de tirs entre le Hezbollah et Tsahal se sont multipliés jour après jour, et ont gagné en intensité. La crainte d’une escalade a monté d’un cran cette semaine : selon les Etats-Unis, l’Iran pourrait frapper très prochainem­ent Israël en réponse à un missile tiré sur son consulat de Damas, le 3 avril. La France a appelé vendredi ses ressortiss­ants à «s’abstenir» de se rendre en Israël, en Iran et au Liban. Ce matin-là, l’armée israélienn­e mène une opération de riposte en réponse à une trentaine de missiles envoyés par la milice chiite. «On entend les bombes en continu, et les drones au-dessus de nos têtes qui scannent la zone», commente Mohammad Chaïb, le nez en l’air, dans une rue du village sunnite de Habbariyeh, à 2 km de la frontière. Mohammad est l’un des derniers habitants. «J’ai trois enfants et je n’ai plus de travail depuis bientôt six mois, se lamente ce Syrien qui, il y a dix ans, avait déjà fui la guerre dans son pays. Tout le monde a déserté le village, les seuls qui restent sont ceux qui n’ont pas de voiture pour s’en aller, ni les moyens de vivre ailleurs.»

Ruines. Il y a quelques jours, les habitants ont fui après qu’une frappe israélienn­e a détruit la seule clinique du village, tuant sept jeunes secouriste­s. Le bâtiment appartenai­t à la Jamaa

Islamiya, un parti islamiste affilié aux Frères musulmans. Le village vit sous l’influence de cette formation sunnite qui, malgré ses fortes divergence­s avec le Hezbollah, est militairem­ent active à la frontière depuis octobre. Alliés politiques du Hamas, ils sont ainsi devenus une cible de choix pour Tsahal. «Mais cette clinique était là pour les premiers secours des gens du village, commente Mohammad Hajoul, un militaire à la retraite, debout sur les ruines du centre de soins. Ce sont des gamins du coin qui sont morts, ils préparaien­t leurs examens de l’université, là, sous mes pieds.» L’homme désigne les morceaux de gravats entre lesquels on distingue encore du matériel médical.

Comme la plupart des formations héritées de la guerre civile, la Jamaa Islamiya assurait dans le village les services de première nécessité. Dans le Liban défaillant, ces partismili­ces, qu’ils soient chrétiens, chiites ou sunnites, possèdent écoles, hôpitaux, cliniques… par lesquels ils assoient leur hégémonie sur les ruines d’un Etat morcelé. Leurs employés, pour autant, n’en sont pas moins des civils. «S’il y a d’autres frappes, on n’aura plus rien pour se soigner, déplore Mohammad Hajoul, le regard abattu. Ni d’ambulances pour nous emmener dans les hôpitaux voisins. La guerre franchit de nouvelles étapes, personne n’est à l’abri.» A quelques rues de là, le vieil homme contemple le paysage si calme qui le sépare du Golan. Sur les hauteurs, des combinaiso­ns de secouriste­s à demi calcinées pendent aux arbres de la vallée, emportées par le souffle de l’explosion.

A une quinzaine de kilomètres à l’ouest, dans la région de Marjayoun, seul le vrombissem­ent d’une poignée de blindés des Casques bleus trompe le silence des routes. Dans les bourgades qui pointent sur le paysage vallonné, les volets sont fermés, les derniers habitants confinés. Réfugié dans la municipali­té de Marjayoun, le docteur Serhan dresse une liste de médicament­s disponible­s. «On avait déjà des problèmes de pénuries avant la guerre… commente le quinquagén­aire. Maintenant, ce sont les médecins qui sont partis. Ils ont peur pour leur vie.»

Crise. Il y a encore quelques mois, un grand nombre de praticiens descendaie­nt de la ville de Nabatieh, plus au nord. Mais depuis l’arrivée du conflit, le Dr Serhan est l’un des seuls à opérer, dans un coin de la municipali­té. «Audelà des blessés, les gens n’ont pas arrêté d’être malades ou d’avoir des accidents. Mais avec la guerre, qui est là pour les aider ?» déplore-t-il. Le système hospitalie­r libanais est déjà à bout de souffle, la faute à la crise économique qui paralyse le pays depuis 2019. A Marjayoun, l’hôpital de la ville ne dispose que de quatorze lits d’urgences, et peine à trouver le personnel nécessaire pour assurer le service minimum. Selon le ministère de la Santé libanais, 70 civils dont 16 secouriste­s et ambulancie­rs ont été tués dans des frappes israélienn­es depuis le début du conflit. Une situation que le Comité internatio­nal de la Croix-Rouge juge «très préoccupan­te». Avichay Adraee, porte-parole de l’armée israélienn­e, rétorque : «Les ambulances sont utilisées par le Hezbollah pour transporte­r du personnel et du matériel de combat.» Mais pour les civils de la bordure frontalièr­e, il y a surtout cette impression que les limites de la guerre sont sans cesse repoussées. A chaque infrastruc­ture non militaire prise pour cible, la peur que le SudLiban se transforme progressiv­ement en une sorte de no man’s land ; une terre interdite où personne n’ose revenir à mesure que le conflit s’éternise.

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Photo Rabih Daher. AFP Frappe israélienn­e près du village de Khiam, près de la frontière, lundi.

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