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Victor Wembanyama La NBA à pas de géant

Le jeune Français terminera dimanche sa première saison en ligue américaine. Pour ses grands débuts, le pivot de 2 m 22 a impression­né, confirmant largement toutes les attentes qui pesaient sur ses épaules.

- Par Julien Lecot

Sur le papier, la rencontre de dimanche soir n’a pas grand intérêt. Quinzièmes (et bons derniers) de leurs conférence­s respective­s –sortes de classement­s distincts Est-Ouest aux Etats-Unis– Detroit et San Antonio s’affrontent pour leur dernier match de la saison. Pourtant, comme à chaque rencontre depuis le début de cet exercice 2023-2024, les 19 000 places du Frost Bank Center de San Antonio trouveront preneurs et des millions de curieux regarderon­t le match derrière leur écran de télévision. Comme d’habitude, tous n’auront d’yeux que pour un seul joueur : Victor Wembanyama.

Il y a à peine un an, le géant français (2 m 22) débarquait au Texas avec sur ses épaules des attentes démesurées. Originaire de région parisienne, le gamin de 20 ans aujourd’hui incarnait pour beaucoup d’observateu­rs du basket le fantasme du joueur ultime. Une sorte d’ovni sorti tout droit d’un jeu vidéo, plus grand que tout le monde mais tout aussi mobile, rapide et habile que les petits gabarits. Les plus sceptiques n’y croyaient pas, persuadés que la longue tige, ultra-dominatric­e dans le championna­t de France, se briserait sur des joueurs NBA plus costauds et rugueux. A l’issue de sa première saison outre-Atlantique, et avant que «Wemby» ne rentre en France pour disputer les Jeux olympiques, ses détracteur­s se font bien plus discrets. Quant aux dirigeants de San Antonio, ils se frottent les mains : le joueur idéal semble bel et bien exister.

Avant de parler bilan et chiffres, le principal motif de satisfacti­on pour Victor Wembanyama tient probableme­nt à son état de santé. Dans une ligue où les blessures sont légion, le Français a tenu le choc du rythme effréné de la NBA et ses 82 matchs en moins de six mois. Malgré une alerte à la cheville cet hiver, Wemby est monté en puissance à mesure que la saison avançait. Légèrement en retrait lors de ses premières rencontres, il est peu à peu devenu le leader tant offensif que défensif des Spurs, noircissan­t soir après soir les colonnes de statistiqu­es de ses feuilles de matchs.

«Pas de limites»

Ces dernières semaines, l’intérieur des Spurs a empilé les sorties fantastiqu­es: un «triple-double» (au moins dix unités dans trois domaines différents) avec dix contres dans le même match – on n’avait pas vu ça depuis 2021–, un «five-by-five» (plus de cinq unités dans cinq statistiqu­es différente­s, performanc­e inégalée depuis 2019), ou encore un match à 40 points et 20 rebonds (ligne de statistiqu­e plus alignée pour un débutant depuis plus de trente ans)… Pour sa première saison NBA, Victor Wembanyama tourne en moyenne à plus de 21 points. Au XXIe siècle, seuls trois joueurs avaient atteint des moyennes similaires au début de leur carrière.

A l’échelle des Français, sa saison est déjà historique. Parmi les 47 autres tricolores à avoir passé au moins une année en NBA, un seul, Tony Parker, a réussi à terminer à plus de 20 points de moyenne (en 2009 et 2013). «Ce qu’il fait actuelleme­nt pourrait être sa pire saison et c’est ce qui est le plus effrayant», plaisantai­t il y a quelques jours Nicolas Batum, qui sera son capitaine cet été en équipe de France. Chez ses adversaire­s, le jeune Français impression­ne aussi. Pour le meneur de New York, Jalen Brunson, Wembanyama «va devenir l’un des meilleurs joueurs que ce sport ait vu». «Nous assistons à l’ascension du prochain grand joueur de la NBA», soufflait le coach de Denver après avoir affronté les Spurs, quand le «King» LeBron James parle d’un gamin qui «n’a pas de limites».

On pourrait résumer l’impact de Victor Wembanyama en une séquence, réalisée contre Memphis fin mars. Sur une contre-attaque, deux joueurs des Grizzlies s’approchent tour à tour du panier, ballon en main… et font demi-tour sans même essayer de shooter. La seule

«Ce qu’il fait actuelleme­nt pourrait être sa pire saison et c’est ce qui est le plus effrayant.»

Nicolas Batum capitaine de l’équipe de France de basket

présence du Français suffit à les dissuader de s’approcher : les joueurs de la ligue américaine ont appris à leurs dépens qu’un coup de palme du géant français peut envoyer presque n’importe quel tir en tribunes.

Statistiqu­es lunaires

Quand il est sur le terrain, Wemby fait peur et intimide. Ses bras tentaculai­res et sa mobilité surprenant­e pour sa taille font de lui un défenseur unique. Avec ses 3,6 contres par match, il est déjà le meilleur contreur de NBA cette saison et de loin, le deuxième ne pointant qu’à 2,4 unités en moyenne. Même le pivot français du Minnesota Rudy Gobert, pourtant trois fois meilleur défenseur de l’année, n’a jamais fait mieux sur une saison que 2,6 contres de moyenne. Victor

Wembanyama excelle aussi sur les intercepti­ons : les 23 et 24 février, il est devenu le deuxième joueur dans l’histoire de la NBA à réussir 5 contres et 5 intercepti­ons lors de deux rencontres consécutiv­es depuis… Michael Jordan, en 1987. Dernière statistiqu­e lunaire mise en avant par un analyste NBA en mars: sur une quinzaine de rencontres consécutiv­es, San Antonio présentait le meilleur bilan défensif de toute la ligue quand le Français était sur le terrain. A l’inverse, quand il était sur le banc, les Spurs n’avaient que la 25e meilleure défense (sur 30 équipes). Suffisant pour que Wemby obtienne, dès sa première saison, le titre de meilleur défenseur de l’année ? «Je sais que j’ai dit qu’il ne méritait pas de gagner ce titre. J’ai menti. Il doit l’être car il est tellement incroyable», a reconnu récemment le joueur de Golden State Draymond Green, lui-même défenseur de l’année en 2017.

Tout aussi exceptionn­el qu’il soit, Victor Wembanyama n’a néanmoins pas réussi à faire de San Antonio une équipe compétitiv­e dès sa première saison. L’année dernière, les Spurs avaient fini avec un bilan famélique de 22 victoires pour 60 défaites et une dernière place de la conférence Ouest. L’arrivée de la pépite française n’aura rien changé : l’équipe texane devrait terminer cette saison à la même place et avec un bilan similaire (20 victoires pour 60 défaites avant le match de vendredi soir et de dimanche), malgré du mieux en fin de saison. San Antonio a même battu durant l’hiver un triste record pour la franchise, avec 18 défaites consécutiv­es.

Victor Wembanyama, laissé libre ou presque par ses coachs de faire ce qu’il veut, a aussi régulièrem­ent frustré les fans par ses choix parfois douteux en attaque. Le géant a tendance à préférer multiplier les tentatives de shoot longue distance – avec une réussite très aléatoire – plutôt que de s’approcher du panier où il peut faire jouer sa taille. Il perd aussi énormément de ballons : dans toute la NBA, seul le fantasque Luka Doncic perd plus de fois la balle par rencontre que lui. «On s’est surtout attaché à lui inculquer les principes défensifs, reconnaiss­ait récemment son entraîneur, la légende Gregg Popovich. On l’a aidé à améliorer son contre, son placement. Le reste, l’efficacité offensive, viendra plus tard.»

Mais qu’il rate des tirs ou perde des ballons importe peu dans une NBA consciente d’avoir, avec Victor Wembanyama, un argument marketing majeur pour la décennie à venir. Sa seule présence attire fans, diffuseurs, sponsors et gros sous. Alors, comme le championna­t de France Pro A l’an dernier, la grande ligue américaine s’attelle à placer sa pépite sur un piédestal. Chacun de ses matchs rime avec le partage de dizaines de vidéos de ses actions sur les réseaux sociaux.

Sacrée pression

La recette fonctionne: en janvier, un dunk de Wemby est devenu la vidéo la plus visionnée de toute l’histoire de la NBA – 153 millions de vues –, devançant les prouesses de Stephen Curry, LeBron James et compagnie. A la mi-saison, il était aussi le quatrième joueur à vendre le plus de maillots à son nom. Sa tunique était plus achetée que celles de Nikola Jokic, Giannis Antetokoun­mpo ou Joel Embiid, les trois derniers meilleurs joueurs de la NBA.

Les marques se bousculent évidemment pour rebondir sur son image. Le Français assure, avec ses proches et agents, les trier sur le volet. En février, Louis Vuitton avait fait du joueur sa nouvelle égérie. Cette semaine, c’est Nike qui, surfant sur l’éclipse solaire, publiait une vidéo énigmatiqu­e de quarante-cinq secondes intitulée «l’éclipse totale ne fait que débuter». La marque à virgule y dévoilait un logo XXL, dessiné dans des champs «quelque part dans le sud du Texas», mêlant ballon de basket et visage d’un alien. Le dessin devrait venir décorer une gamme de chaussures au nom de Wembanyama. Bilan de l’opération marketing : plus de 12 millions de vues sur Twitter et 120 000 «j’aime» sur Instagram. Pour associer son image au Français, la firme américaine aurait déboursé plus de 100 millions de dollars (94 millions d’euros). Un sacré pari sur un joueur de 20 ans, ainsi qu’une sacrée pression extra-sportive qui va venir s’ajouter sur les épaules du jeune homme. D’autant que, sur les parquets, les équipes adverses, désormais au fait des capacités de l’extraterre­stre tricolore, ont déjà commencé à mettre au point des plans «anti-Wemby». S’il a franchi la première marche de sa carrière américaine avec brio, Victor Wembanyama est désormais attendu de pied ferme. Solidement entouré par son staff personnel et une famille d’anciens sportifs, dans une équipe en pleine reconstruc­tion, la nouvelle coqueluche de la NBA entame le plus dur: confirmer la révolution de la sphère orange qu’il a lancée. •

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PRESSE SPORTS ?? Victor Wembanyama face à l’équipe des Memphis Grizzlies,
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Photo Petre Thomas. PRESSE SPORTS Victor Wembanyama face à l’équipe des Memphis Grizzlies, le 2 janvier.

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