Série / «The Sympathizer» essaime le double
La série HBO, curieux mélange de léger et de tragique, sonde avec puissance la psyché de son héros traumatisé du Vietnam.
Apocalypse Now, bis repetita. Pas le film, dont The Sympathizer est le contraire d’une redite, mais un traumatisme que le protagoniste de la série subit à deux reprises, pendant la guerre du Vietnam, et sa reconstitution à Hollywood, où l’ancien combattant exilé aux EtatsUnis se retrouve consultant d’un film titré le Hameau, et piégé dans la tempête de TNT qui va raser le village qui lui sert de décor. Par souci de fidélité et pour faire honneur au passé, le protagoniste (Hoa Xuande, découverte totale) avait inscrit le nom de sa mère disparue sur une pierre tombale du petit cimetière sur la colline, et va manquer de mourir dans la réplique d’un anéantissement.
Postiches. C’est au mitan de la mini-série de Park Chan-wook et Don McKellar que survient la catastrophe, et ce renversement qui donne tout son sens à cette curieuse adaptation d’un formidable roman, le premier de Viet Thanh Nguyen, le Sympathisant (traduit en français chez Belfond) hybride littéraire auscultant cinquante ans de relations vietnamo-américaines à triple fond. Adaptation curieuse parce qu’orientée vers une ostentatoire satire lézardée d’effets et de couleurs pétantes (Park Chan-wook reconnaissable entre mille dans les trois premiers épisodes avec ses manières d’hyper-Kurosawa,) et sévèrement alourdie d’un pénible dispositif, plus Professeur Foldingue qu’Actors Studio, de son comédien-producteur Robert Downey Jr., qui s’est donné une demi-dizaine de rôles sous postiches ; mais qui précise au gré de ses sept épisodes un rapport au drame, à la guerre et à la violence, et une manière de les mettre en scène insolites et puissants. Dans The Sympathizer, on assassine des proches sur un air de heavy rock 70s, on gère le deuil de sa femme et de son fils en se tapant sur la tête tel un clown, on survit aux interrogatoires dans un camp de rééducation à la force de ses bons mots.
Débonnaire. Mais cette manière singulière de confondre le léger et le tragique, très Nouvel Hollywood (on songe à Little Big Man), n’est pas une manière pour la série de botter en touche, au contraire, les divers traumas circulant en ricochets de plus en plus brusques et fulgurants, jusqu’à un phénoménal épisode final à la lisière du fantastique. Le coup de force de The Sympathizer étant de rester cloîtré dans la psyché intense de son héros au masque de beau gosse débonnaire et à l’intérieur schizo, agent double doublement paumé, perclus de doutes et de culpabilité, de moins en moins capable d’accorder ses allégeances à son sens moral et à sa trouble identité. Une série à deux visages, une série Janus aussi, passé et avenir, guerre et paix, jusqu’à son épilogue sur un bateau de fortune, où le héros entre la vie et la mort contemple autant ce qu’il a perdu qu’il s’autorise à rêver à ce qu’il pourrait devenir, maintenant qu’il a à sa main de devenir humain entièrement.
The Sympathizer de Park Chan-wook et Don McKellar. 7 épisodes, sur le Pass Warner de Prime Video.