Jeu vidéo / «Dragon’s Dogma 2», l’épreuve du feu
La superproduction de Capcom, parfois confuse mais graphiquement riche, réussit un voyage de fantasy odysséen, exigeant la patience.
Dans la catégorie reine des superproductions du jeu vidéo de l’actionaventure en monde ouvert, Dragon’s Dogma 2 n’est ni le plus beau ni le plus accueillant. Pas tellement qu’il soit difficile d’accès, ou difficile tout court, mais c’est un jeu qui cultive un langage sibyllin, susceptible de laisser le joueur interdit, incapable de déterminer exactement ce qu’il doit faire. La création des Japonais de Capcom ne se distingue pas davantage par son récit, énième conte chevaleresque installant le joueur dans la position de l’Elu.
Embûches. Mal réglé, mal peaufiné techniquement, le jeu réussit pourtant quelque chose d’assez rare : il offre dès sa première quête un avant-goût de ce qu’il fait mieux que les autres, en exigeant du joueur qu’il escorte un char à boeufs le long d’une route cheminant des montagnes du nord jusqu’aux murailles de la capitale. Un voyage semé d’embûches, long et périlleux qui se termine hors d’haleine, fébrile, par la recherche d’un havre de paix. Une déclaration d’intention : jouer à Dragon’s Dogma 2, c’est s’embarquer dans une série de périples aux limites de ce que le personnage pourra endurer. Une expérience de marathonien. Un détour : le plus grand triomphe d’Ubisoft, par-delà les chiffres de vente, est d’avoir fixé à la fin des années 2000 un canevas autour duquel la plupart des jeux en monde ouvert se sont développés. Un espace proche du parc d’attractions où le joueur est perpétuellement entouré de sources d’excitation et se voit offrir la possibilité de passer d’un clin d’oeil d’une région à l’autre. Il suffit de s’y téléporter. Cette hypermobilité est devenue un standard, un dû. C’est précisément cette relation que Dragon’s Dogma 2 vient briser. En refusant de se plier au «tout, tout de suite, tout le temps», en rendant le coût de la téléportation si élevé qu’il en devient dissuasif, le jeu de Capcom déroute. Il exige des joueurs qu’ils laissent leur empressement à la porte et s’essaient à la patience. Le simple fait de courir a un coût, alors le joueur marche.
Dès lors, c’est tout le rapport au monde qui se transforme. Plutôt que d’engloutir les décors au rythme d’un Mission impossible, le joueur observe, est attentif, prend la mesure de l’environnement. Et il est splendide. Graphiquement d’abord –c’est peut-être le jeu avec les plus belles forêts, denses au point de dévorer la lumière du jour – mais aussi structurellement.
Epique. Bijou de design environnemental, le jeu construit, le long de sa grand-route, tout un réseau de sentiers et d’itinéraires bis dont l’existence n’est parfois que discrètement suggérée par l’éclairage. Le réseau sanguin qui fait battre le coeur de la création de Capcom. En dédommagement du temps que le joueur accepte de lui confier, Dragon’s Dogma 2 offre un voyage aux proportions odysséennes, dont le souffle épique est relevé par d’innombrables combats à dos de griffon ou de dragon. Etrangeté d’une production qui a englouti les millions de dollars mais qui ne se contente pas d’une transaction pécuniaire avec son joueur et ne le rétribue qu’à la hauteur de sa curiosité. Une audace toute japonaise : les deux autres grands jeux à avoir osé pareil geste s’appellent Zelda et Elden Ring.
Dragon’s Dogma 2 (Capcom) sur PC, PS5 et Xbox, 60 € env.