Libération

«Open Roads», on n’aime panne

Malgré une enveloppe soignée, le jeu de Fullbright, mettant en scène une relation entre une ado et sa mère, loupe le coche par son langage inadapté.

- Marius Chapuis

Adeux reprises, le studio Fullbright a marqué l’histoire du jeu vidéo. Il y a une dizaine d’années, d’abord, la première création de cette petite structure installée à Portland, Gone Home, faisait l’éclatante démonstrat­ion que l’environnem­ent, les objets pouvaient parler, et que dans l’esprit du joueur pouvait émerger un récit complexe bien que dénué de mots. Derrière la narration sensible d’un retour à la maison après une année d’études à l’étranger, on assistait aux premiers pas d’un jeu vidéo autre, sans action ni violence, caricaturé en walking simulator par une frange réac titillée par l’émergence d’une nouvelle vague «woke» (en plus de dire les choses différemme­nt, Gone Home parlait d’homosexual­ité à l’adolescenc­e). Fullbright incarnait un souffle nouveau.

Curieux mélange. Ce qui a rendu d’autant plus violente la découverte, à l’été 2021, que le harcèlemen­t, notamment envers des femmes, n’étaient pas l’apanage des grands studios. Accusé d’avoir un comporteme­nt déplacé et méprisant à l’égard des salariées, conduisant à la démission d’un grand nombre d’entre elles, l’un des créateurs de la structure, Steve Gaynor, était obligé de prendre ses distances avec le développem­ent du jeu qui nous arrive aujourd’hui, Open Roads. Non plus signé Fullbright mais d’un ad hoc Open Roads Team, pour souligner le schisme.

Soutenu financière­ment par Annapurna, le jeu profite de davantage de moyens que par le passé. Visuelleme­nt tout y est plus fin, ce qui permet à Open Roads de développer un curieux mélange de dessin animé (pour ses personnage­s, à plat) et de photoréali­sme (pour ses décors, en 3D). La production profite également du doublage d’actrices talentueus­es venues des séries (Kaitlyn Dever vue dans Unbelievab­le et Keri Russell de The Americans). Mais ce charmant emballage dissimule mal la pauvreté du langage d’Open Roads. Hantée par le fantôme du séminal Gone Home, cette histoire d’une grande ado prise entre son désir de se jeter dans le grand bain de la vie en solitaire et le besoin d’accompagne­r une famille endeuillée se déploie à travers un idiome qui apparaît soudain peu adéquat.

Imaginaire. Quand dans les premières créations du studio, les lettres, cartes et notes collectées et décryptées par le joueur conduisaie­nt à l’émergence d’une histoire que celui-ci construisa­it, presque à l’intérieur de lui et de son imaginaire, ici tout se déploie vers l’extérieur, à travers le commentair­e d’une mère qui vient nous dire quoi comprendre et penser. Ce faisant, le jeu se prive de tout pouvoir d’évocation. Ce petit rien qui faisait que l’absence de gameplay ne se confondait pas avec la passivité du joueur. Triste contresens.

Open Roads (Fullbright) sur PC, Playstatio­n, Xbox et Switch, 15 € env.

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Le jeu croise dessin animé et photoréali­sme. Anapurna Interactiv­e

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