Libération

Jean qui pleure Sept jours après la mort d’un ami par Gilles Moinot

- Par Frédérique Roussel

On vit une relation pendant des années avec quelqu’un, dans un temps étiré qui semble ne jamais s’interrompr­e et au moment de sa mort, ce temps s’est brutalemen­t rétréci, découpé en un compte à rebours avant l’adieu final. Vincent disparaît se déroule sur sept jours. Un vendredi de janvier, une voix féminine, celle de Madame Etienne, apprend à Jean la mort de Vincent, le jeudi suivant, l’enterremen­t a lieu. Entre les deux, les émotions, les souvenirs et les formalités se bousculent. La soixantain­e, Vincent vivait seul, n’avait pas de famille proche. Jean se rend tout de suite dans le village de Bourgogne où il habitait depuis cinq mois dans la bicoque héritée de son oncle et s’y installe quelques jours pour régler les funéraille­s.

La palette sensible et hypnotique de Vincent disparaît tient à la déclinaiso­n des états par lesquels passe Jean, comme le ciel changeant de l’Yonne. La sidération, la douleur, la culpabilit­é de n’avoir rien vu venir la dernière fois qu’il l’avait rencontré à Paris, tourmenté par les attentats, la surprise du secret qu’il n’avait pas partagé avec lui. Vincent s’est suicidé en se noyant dans une rivière, dans un tournant de la Cure où l’eau est un peu plus profonde. Madame Etienne, la voisine et femme de ménage qui l’a prévenu, raconte qu’il avait des cailloux plein les poches «comme cette écrivaine dont il m’avait fait lire l’histoire il n’y a pas si longtemps, sans doute pour ne pas être tenté de refaire surface». Noyade ou arrêt du coeur dans l’eau glacée, «mais de toute façon qu’est-ce que ça peut bien changer, il voulait partir c’est tout», dit encore la voisine. Elle parle pour conjurer le tragique, Jean l’écoute, encore incapable de décanter. Vincent avait laissé un petit plan, son corps a été rapidement retrouvé. Aux gendarmes qui le lui demandent, Jean répond qu’il n’a pour l’instant rien vu d’autre dans ses affaires qui explique son geste. «L’un d’eux me raccompagn­e jusqu’à la porte et me serre la main en disant qu’il est désolé, je ne sais pas de quoi puisqu’il n’a jamais rencontré Vincent, désolé de la mort peut-être, au fond, c’était gentil, j’ai remercié.»

On a l’impression qu’il n’y a plus rien à dire, et pourtant tout se conjugue pour rappeler l’absence. Les chemins de promenade, le café où ils allaient lire leurs messages, «peut-être s’est-il assis à la même place que moi, dans ce café, peut-être pas, tout ça n’a aucune importance», l’Homme qui aimait les chiens de Padura en évidence dans la chambre d’amis, les carnets que Jean se décide enfin à parcourir le dimanche dans le fauteuil près du feu, cherchant confusémen­t une explicatio­n. La quête de qui était l’autre, les bouffées du passé, de la mort de Jacques du sida aux comités Chili, envahissen­t Jean avant et après l’arrivée des autres membres de leur cercle d’amis. Le deuil ouvre un mystère que la vie n’interrogea­it pas, et le roman de Gilles Moinot, longtemps orfèvre des mots croisés de Libération, tourne en cercles concentriq­ues autour de l’abîme dans lequel Vincent a disparu, face-à-face avec l’amitié, le réel et soi-même. •

Gilles Moinot Vincent disparaît Calmann-Lévy, 154 pp., 18 € (ebook : 12,99 €).

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