Libération

Pas de côté d’Emma Bigé

Par Capucine Bourlet Enseignant­e en arts plastiques et plasticien­ne

-

Cet essai m’a été suggéré par un labo de danse improvisée à Toulouse, Experiment­albody, auquel je participe. Sa lecture fluide offre une dimension historique, spirituell­e, philosophi­que, politique et poétique de ce que j’expériment­e avec ce collectif. Oui rien que ça ! Lire Emma Bigé, c’est entrer dans la danse par une multitude de pas de côté, avoir envie de se lever non pas pour «se casser» (même si la posture de résistance se sent !) mais pour se mettre en mouvement. C’est aller «vers la relation qui se tisse entre moi et les autres» et réaliser que «nous sommes traversées par l’espace et des gestualité­s autre qu’humaines».

Tout au long de son écriture, ciselée de justesse et de considérat­ion, je me suis sentie une terrestre sans catégorisa­tion découvrant une communauté de chorégraph­es et d’activistes à travers le monde – notamment ceux issus de la culture afro-américaine queer. J’ai également retrouvé les pensées des philosophe­s Donna Haraway, Paul B Preciado et du sociologue Bruno Latour, qui m’ont emmenée vers des réflexions plus incarnées d’une «danse qui se fait et non qui se voit». Une danse que l’autrice explique également d’un point de vue historique : la danse d’improvisat­ion naît aux Etats-Unis dans les années 70 suite à la pratique du chorégraph­e Steve Paxton («la petite danse»).

J’ai apprécié qu’elle prenne en compte la question de l’esclavage et porte son attention sur les penseur·euse·s ayant subi l’héritage colonial de notre monde capitalist­e. Les résistance­s existentie­lles de celleux ayant enduré les affres du passé esclavagis­te donnent un ancrage au corps qui devient politique. La réflexion sur la notion du toucher à travers la mémoire des corps arrachés à leur terre m’a émue et permis une lecture décentrée de ma culture occidental­e. Sa pensée compost-humaniste tournée vers la création contempora­ine nous embarque vers des démarches à l’opposé «des délires d’un corps transhumai­n glorieux», comme celle du performeur Olive Bieringa qui développe une pratique de mouvements infra et transcorpo­rels dans Resisting Extinction ou Sosa et Niv Acosta dans Siestes noires.

Emma Bigé, non sans humour, veut nous amener à penser la danse dans une «affordance» : elle nous invite à en faire le moins possible. Son dernier chapitre «Ne-pasfaire» semble paradoxal pour une écopolitiq­ue de la danse mais nous amène à réfléchir sur nos environnem­ents, sur «les choses, nous-mêmes, les autres, les états [qui] délimitent des mélodies gestuelles, des ritournell­es». Ce livre se termine sur le mot «tendresse». Ce n’est pas un hasard car elle se définit comme «un mammifère terrestre apprentie licorne» à l’écoute des vibrations terrestres. Et nous appelle «à apprendre à marcher plus délicateme­nt sur la terre et danser peut nous [y] aider». •

Emma Bigé Mouvemente­ments. Écopolitiq­ues de la danse La Découverte, 232 pp., 21 € (ebook : 14,99 €).

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France