Mona Høvring, la vie complexe de Froeude et Serge OEudippe
«J«Fallait-il être doué en géographie pour comprendre ce qu’on appelait communément l’orientation sexuelle ?»
e ne veux pas vivre en devant tout le temps appuyer sur les freins» : cette phrase que Froeude découvre dans le journal d’adolescence caché de sa belle-mère donne à la fois le ton de la narration et de l’écriture de Mona Høvring, née en Norvège en 1962. Pour une autrice dont les précédents romans (traduits chez le même éditeur) s’intitulaient Nous sommes restées à fixer l’horizon et Parce que Vénus a frôlé un cyclamen le jour de ma naissance, Histoire de Froeude semble un titre bien sobre. Qu’on se rassure, le court roman est sous-titré Ses opinions et sa conception de la vie – un livre contenant également quelques moments de béatitude. Première page, description des personnages. «Froeude était un grand chenapan dégingandé. Il habitait au 13 Forêt primaire [malgré ce 13, la demeure «était la seule maison alentour», ndlr], avec son grand frère, Serge OEudippe, un drôle de coco au coeur tendre, sa petite soeur, Eva, une pitchounette mignonne à croquer, et leur père, Auguste Augustus Vulgaris, un loup de mer hyperromantique à l’humeur des plus joviales.» Là, Froeude se «sentait protégé de quasi toutes les mochetés du monde et, hormis quelques béchamels et caramels lancinants englués dans son mental, notamment quand leur mère prit un beau jour la poudre d’escampette et les quitta à grands fracas, Froeude s’estimait être rien de moins qu’un garçon heureux» qui s’est inventé une amoureuse «jusque dans les moindres détails». La mère qui les a «quasiment catapultés dans le monde» envoie un temps des lettres : «Je n’arriverai sans doute jamais à devenir végétarienne. Mais les tomates du coin auraient pu pousser Gandhi à devenir guerrier.» Une belle-mère survient, qui sait voler (dans les airs, pas dans les poches) et «refusait bec et ongles de rire». Elle a «un diplôme d’acupunctrice obtenu par correspondance» et on se demande parfois si ses aiguilles fonctionnent comme celles «plantées dans une poupée vaudou». La vraisemblance factuelle n’est pas la priorité de Mona Høvring.
Les brefs chapitres ont pour titres «Mélimélo de conte de fées ou Jours tranquilles au pied de l’arbre de la Bodhi» ou «Si vous voulez, je peux vous en raconter davantage», jusqu’à la finale «Postface pour les personnes particulièrement intéressées». Froeude ne se repère pas dans les points cardinaux et s’interroge: «Fallait-il être doué en géographie pour comprendre ce qu’on appelait communément l’orientation sexuelle?» Sa belle-mère «avançait des théories aussi inattendues qu’intéressantes sur à peu près tout et n’importe quoi». Car la science, via Albert Einstein, encadre le roman. On lui doit la première épigraphe: «Ne t’inquiète pas si tu as des difficultés en mathématiques, je peux t’assurer que les miennes sont bien plus grandes.» Et il est précisé dans les Notes finales que provient également du père de la relativité la phrase «On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré» prononcée par un personnage et qui correspond au mode d’écriture de Mona Høvring. Le chapitre «Grandeur et servitude de la vie onirique» commence ainsi : «Froeude rêvait. Il rêvait qu’il s’appelait Froeude.» Et le suivant, «Un acte commis par pur désespoir», ainsi : «Se réveiller était une affaire navrante.» Quand on a des personnages qui s’appellent Froeude et Serge OEudippe, évidemment que l’interprétation des rêves pointe le bout de son inconscient. Mais bon, il est question de pensées «gobées par des crapauds minuscules» et d’une question qu’on garde «entre sa chair et sa chemise».
«Penser peut parfois envoyer valser le couvercle de notre marmite mentale, déclara Vulgaris comme s’il introduisait un discours solennel.» Tant mieux, parce qu’à «la réunion parents-professeurs», fut évoquée «l’insistance de Serge OEudippe à vouloir faire du travail manuel et de la transmission de pensée pendant les heures de sciences économiques et sociales». On constate ainsi encore comme la pensée a à voir, d’une manière certes originale, avec l’écriture de Mona Høvring. Dans ce roman où, dans un chapitre intitulé «l’Ordonnance», on donne «la recette des brownies au piment et à la cannelle» (entre autres : «200 grammes de beurre de Bergstaden», «200 grammes de chocolat noir archi-noir», «4 oeufs bien gros»), il s’avère que tous les ingrédients «assumaient leur part du gâteau». Et puis, pour finir, il y aura tellement de quoi rire que, promesse de bonheur, même Demona s’y mettra «comme une bécassine boiteuse et mal fichue». une fois, «ça suffat comme ci».•
Mona Høvring Histoire de Froede Traduit du néo-norvégien par Jean-Baptiste Coursaud. Notabilia, 162 pp., 18 € (ebook : 13,99 €).