Téhéran conforté par son attaque, Tel-Aviv rassuré par sa défense
La riposte iranienne contre Israël, dans la nuit de samedi à dimanche, profite aux deux protagonistes. L’un montre les muscles avec une offensive historique, et l’autre la repousse sans difficulté ou presque.
L’angoisse d’un embrasement régional, voire planétaire, n’aura duré qu’une petite nuit. De 22 heures samedi, heure de Paris, quand l’alerte de drones partis d’Iran et se dirigeant vers Israël a été donnée, jusqu’à 5 heures dimanche, quand la mission iranienne à l’ONU a annoncé que «l’affaire peut être considérée comme close». L’attaque –sans précédent, car c’est la première fois que l’Iran s’en prend directement au territoire israélien avec des centaines de drones et de missiles traversant 1 600 kilomètres et survolant au moins quatre pays arabes voisins – portait tous les risques d’un scénario catastrophe. Mais celui-ci semble évité pour l’heure, du fait d’un consensus contre l’escalade partagé par les deux belligérants et le reste du monde.
Le bilan de l’opération spectaculaire conçue comme une riposte de l’Iran à l’attaque par Israël de son consulat à Damas apparaît finalement léger. Aucune perte humaine, puisqu’une seule personne a été blessée en Israël – ironiquement, une fillette bédouine palestinienne. Pas de destruction significative, même si l’Iran prétend avoir touché deux cibles. Le plus lourd, c’est peut-être le coût financier d’environ 1 milliard d’euros pour le système de défense israélien, contre quatre fois moins pour les drones – peu coûteux – et missiles iraniens tirés.
Feu d’artifice
Sur le plan stratégique, les deux protagonistes peuvent se vanter des résultats militaires et surtout politiques de leur première confrontation armée directe. «L’attaque iranienne a été déjouée», a pu affirmer le porteparole de l’armée israélienne, Daniel Hagari. Le «Dôme de fer», le système de défense antiaérien, a démontré une remarquable efficacité face à la pluie de drones et missiles dirigés contre le territoire israélien, avec l’interception de 99 % d’entre eux selon Tsahal. Nombre de ces projectiles ont d’ailleurs été interrompus dans leur trajectoire avant d’atteindre Israël, grâce à l’intervention de systèmes de défense des pays alliés dans les espaces voisins.
«Avec les Etats-Unis et d’autres partenaires, nous avons réussi à défendre le territoire de l’Etat d’Israël», s’est félicité le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant. La participation militaire des Américains, mais aussi des Britanniques et des Français, a contribué à amortir l’attaque iranienne. Mais c’est surtout le soutien politique exprimé par ses alliés occidentaux, de plus en plus critiques ces dernières semaines de sa guerre à Gaza, qui conforte Israël. Joe Biden lui a renouvelé son soutien «inébranlable face à l’attaque iranienne éhontée» alors qu’il exerçait une pression pour contenir l’offensive sur le sud de Gaza. Emmanuel Macron a «condamné avec la plus grande fermeté l’attaque lancée par l’Iran contre Israël, qui menace de déstabiliser la région».
Téhéran, de son côté, a pu aussi resserrer les rangs de ses alliés de «l’axe de la résistance». Parallèlement à cet assaut, le Hezbollah libanais et les rebelles yéménites houthis ont mené eux aussi des attaques contre Israël, le premier en tirant deux salves de roquettes en quelques heures sur le Golan occupé, et les seconds en lançant à leur tour des drones. Outre la participation directe de ces milices au feu d’artifice de la nuit de samedi à dimanche, les forces libanaises, palestiniennes, irakiennes ou yéménites affiliées à l’Iran et leurs partisans ont célébré avec triomphalisme l’opération «historique» sur le territoire israélien «qui s’inscrira dans les annales de la résistance», selon la chaîne Al-Mayadeen, proche du Hezbollah.
Par son action spectaculaire mais annoncée, limitée et calibrée comme une riposte à l’attaque de son consulat à Damas, l’Iran a fait une démonstration de force pour préserver sa crédibilité. «L’opération “Promesse honnête” a été menée avec succès et a atteint tous ses objectifs», a déclaré le général Mohammad Bagheri, des Gardiens de la révolution. Il a affirmé que les deux sites principalement ciblés avaient été «le centre de renseignement qui a fourni aux sionistes les informations nécessaires» à la frappe contre le consulat de Damas, ainsi que la base aérienne de Novatim, d’où ont décollé les avions F-35 qui l’ont bombardé. L’Iran prétend même agir dans son bon droit. En convoquant dimanche les ambassadeurs du RoyaumeUni, de France et d’Allemagne pour protester contre leurs prises de position, le ministre iranien des Affaires étrangères a rappelé que les trois pays européens n’avaient pas condamné l’attaque du consulat à Damas, qui n’a fait l’objet d’aucune plainte adressée à l’ONU. Hossein Amir Abdollahian a précisé que Téhéran avait mis au courant les pays voisins de la riposte «soixantedouze heures avant l’opération». Selon lui, «nous avons annoncé à nos frères et amis de la région, y compris aux pays abritant des bases militaires américaines, que notre objectif était uniquement de punir le régime israélien». Cette démarche est «une indication que l’Iran ne cherche pas la guerre totale, ni contre Israël ni contre les Etats-Unis», a estimé sur X Ziad Majed, professeur à l’Université américaine à Paris. Avertis par leurs alliés dans la région, les EtatsUnis avaient annoncé l’imminence d’une attaque contre Israël.
«retenue maximale»
Dimanche, la Maison Blanche a assuré ne pas vouloir d’une «escalade et d’une guerre étendue avec l’Iran». Même son de cloche chez les autres alliés occidentaux d’Israël. Tout en condamnant l’attaque, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a appelé sur X «tous les acteurs» à «oeuvrer au rétablissement de la stabilité dans la région». Selon le porte-parole de l’Otan, «il est essentiel que le conflit au Moyen-Orient ne devienne pas incontrôlable».
Les inquiétudes face aux risques d’escalade ont surtout été exprimées par les pays arabes opposés à «l’axe de la résistance» mené par l’Iran. Ainsi, l’Egypte a appelé à «une retenue maximale», indiquant «être en contact direct avec toutes les parties du conflit pour essayer de contenir la situation». Les pays de Golfe, rivaux et voisins directs de l’Iran, seraient les premiers exposés à des attaques de la république islamique en cas d’embrasement régional. Exprimant sa «profonde inquiétude», le ministère saoudien des Affaires étrangères a appelé «à épargner à la région et à ses habitants les dangers de la guerre». La crainte est telle qu’elle a repoussé la guerre à Gaza au second plan. «C’est la première fois qu’on voit des missiles qui ne tombent pas sur nous !» a réagi Muhammad Smiry, journaliste gazaoui très suivi sur X. «Gaza va reculer sur l’agenda international, commente sur X le chercheur Emile Hokayem, de l’International Institute for Strategic Studies de Londres. Le focus sera désormais sur l’Iran, les pays occidentaux tairont leurs critiques d’Israël. Les Arabes débattront de qui est le plus menaçant entre Israël et l’Iran, et les Gazaouis seront abandonnés à leurs souffrances.»