Libération

Après l’offensive de Téhéran, Israël se cherche une riposte

Poussés par les Américains, les dirigeants israéliens ne se sont pas engagés dans une réponse directe à l’attaque iranienne, malgré les vifs débats au sein du cabinet de guerre de Nétanyahou.

- Nicolas Rouger Correspond­ant à Tel-Aviv

L’establishm­ent militaire israélien s’est félicité dimanche du succès de son opération de défense contre la riposte iranienne. Seul un missile a réussi à toucher sa cible, selon Tsahal, qui attend maintenant que l’échelon politique de l’Etat hébreu lui donne ses ordres de manoeuvre pour répondre à cette première attaque directe de l’Iran contre le territoire israélien.

Une riposte est inévitable, même si Téhéran a prévenu qu’elle entraînera­it l’escalade. «Tsahal a plusieurs objectifs déjà établis, en Iran mais pas seulement, et les capacités militaires de les atteindre», assure Sima Shine, ancienne du Mossad, le renseignem­ent israélien, et désormais directrice du pôle Iran à l’Institute of National Security Studies à l’université de Tel-Aviv. L’arsenal de l’Etat hébreu est plus important et plus sophistiqu­é que celui de son antagonist­e, et de loin. «Par ailleurs, l’Iran a beaucoup investi dans l’offensif. Son système anti-aérien, s’il est meilleur que celui du Liban ou de la Syrie, n’est pas très bon», ajoute l’ancienne espionne.

Finesse calculée. L’Etat hébreu connaît le territoire iranien. Il est accusé d’y avoir mené plusieurs assassinat­s ciblés. Il est probable qu’Israël décide de frapper les installati­ons militaires, en particulie­r celles associées au programme nucléaire. «La mort de civils iraniens sera difficile à avaler» pour les alliés occidentau­x qui ont réaffirmé leur soutien à Israël, explique Yossi Kuperwasse­r, général à la retraite du renseignem­ent militaire israélien. Sima Shine enjoint les dirigeants israéliens à «attendre et réfléchir». «Israël se doit de répondre, mais cela ne sera productif que si la coopératio­n régionale qui s’est révélée pendant cette attaque est maintenue», dit la chercheuse. C’est l’argument des Américains, qui craignent une guerre ouverte et incontrôla­ble, et qui auraient convaincu les Israéliens de ne pas frapper l’Iran dans une riposte directe.

«Le système de coopératio­n régionale que nous avons construit doit être renforcé, a dit Benny Gantz, une des forces moteur derrière la formation d’une alliance aérienne moyen-orientale en 2022. Et nous ferons payer le prix à l’Iran de la façon et au moment qui nous conviennen­t.» Le ministre de la Défense, Yoav Gallant, s’en est fait l’écho pendant une visite au site des batteries Arrow3, chargées d’intercepte­r les missiles balistique­s : «Nous avons l’opportunit­é d’établir une alliance stratégiqu­e contre l’Iran, qui menace de mettre des têtes nucléaires sur ces missiles.»

«Nous ne pouvons pas laisser ce dossier ouvert sans riposter, insiste Yossi Kuperwasse­r, mais pour éliminer le programme nucléaire iranien, la meilleure marche à suivre, c’est de soutenir un changement de régime.» Cette finesse calculée, cet art de la manipulati­on, ce retour triomphant dans le concert des nations devrait convenir au caractère et à la philosophi­e de Benyamin Nétanyahou. Mais les relations au sein du cabinet de guerre sont conflictue­lles. «Si on avait retransmis les discussion­s de ces derniers jours, il y aurait quatre millions d’Israéliens à l’aéroport», a évoqué une source présente lors des réunions au journalist­e israélien Ronen Bergman.

Imposer une gifle. Le chef du Likoud, Benyamin Nétanyahou, est sous la pression de l’aile dure de sa coalition d’extrême droite, qui demande une réponse forte, voire disproport­ionnée. Itamar Ben-Gvir, colon cramoisi reconverti dans la politique incendiair­e et fournisseu­r de masse d’armes aux civils israéliens, s’est moqué des «slogans occidentau­x naïfs» déployés par Benny Gantz: «Pour créer une réelle dissuasion, le propriétai­re doit devenir fou.» Pour Yossi Kuperwasse­r, la meilleure façon d’imposer une gifle à l’Iran est «de finir le boulot à Gaza et ramener nos otages». Dimanche, l’associatio­n qui représente ces derniers a rappelé aux dirigeants que «le renseignem­ent précis, les capacités stratégiqu­es avancées et la coopératio­n internatio­nale qui ont prévenu de l’attaque aérienne la plus sérieuse de l’histoire israélienn­e, c’est ce qui a cruellemen­t manqué le 7 octobre».

A Gaza, les opérations israélienn­es ont repris, et rien ne porte à croire que cela se ralentira, après le refus du Hamas, samedi, de la dernière propositio­n de trêve. L’armée israélienn­e a annoncé le rappel de deux brigades de réserviste­s destinées à Gaza. A l’intérieur de l’enclave, l’aide humanitair­e rentre un peu mieux mais le désespoir règne encore. Une rumeur selon laquelle Tsahal autorisait le retour des femmes et des enfants de moins de 14 ans vers le nord a jeté des milliers de personnes sur la route côtière. L’armée israélienn­e a tiré pour les arrêter, tuant cinq personnes, selon les autorités médicales dans la bande.

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