«Ça reste avant tout une démonstration de force de l’Iran»
La chercheuse à l’Institut français des relations internationales Héloïse Fayet analyse les intentions de Téhéran dans cette attaque inédite et les risques d’escalade dans la région.
Dans un ciel bien peu serein, les images de l’attaque, aussi massive qu’inédite, dans la nuit de samedi à dimanche, de plus de 300 drones kamikazes et missiles iraniens sur Israël, ont fait ressurgir le risque effrayant d’un embrasement régional au Proche-Orient. Chercheuse à l’Institut français des relations internationales et spécialiste de la région, Héloïse Fayet décrypte les motivations iraniennes et les risques et enjeux de cette riposte historique.
Est-ce qu’en attaquant directement Israël, l’Iran a gagné une bataille symbolique ?
C’était quand même un pari risqué de la part de l’Iran. Si jamais, il y avait eu des missiles qui atteignaient leur but, avec des morts sur le territoire israélien, alors le risque d’escalade aurait été très élevé. C’est pour cette raison que les Iraniens ont pris de nombreuses précautions pour que ça reste avant tout une démonstration de force.
Mais ce pari risqué, finalement, ils l’ont remporté ?
Tout dépendra des représailles israéliennes. Si jamais elles sont importantes, l’Iran pourra évidemment camper dans une position de victime en disant: «Regardez, j’ai été attaqué dans mon consulat, donc je réplique par des frappes calibrées et c’est Israël qui provoque la riposte ;» Et si jamais Israël ne réplique pas, dans ce cas-là, l’Iran pourra dire: «Voilà, même si mes missiles n’ont quasiment pas touché le territoire israélien, j’ai quand même montré que je peux réagir.»
L’Iran aurait-il les moyens de s’embarquer dans une guerre régionale?
Il est peu probable que les autorités iraniennes prennent le risque délibéré d’un embrasement régional. Car elles savent que l’Iran serait perdant dans un affrontement conventionnel direct impliquant Israël, ses alliés régionaux et l’Occident. C’est pour cette raison que depuis des années, le régime iranien privilégie des moyens de conflit asymétrique, en impliquant leurs propres alliés dans la région, ou encore des cyberattaques.
Finalement, l’évolution de la situation dépend ironiquement en grande partie de la pression exercée par Washington sur Israël, donc du principal adversaire de Téhéran…
Oui, tout dépend de la pression que les Américains vont mettre sur Israël pour ne pas riposter : le président Biden a bien signalé au gouvernement israélien qu’il ne soutiendrait pas une riposte contre l’Iran. Notons que quand les Américains demandent au gouvernement israélien de calmer le jeu à Gaza, ça ne fonctionne pas. Evidemment, cette fois les enjeux ne sont pas les mêmes. Et les autorités israéliennes ont déjà annoncé qu’il n’y aurait pas de riposte immédiate.
Les Américains peuvent tolérer des débordements israéliens à Gaza. Car malheureusement, les seules victimes, ce sont les Gazaouis et la réputation d’Israël à l’étranger. Alors que si jamais il y avait eu une réplique israélienne importante contre l’Iran, cela pourrait dégénérer en affrontement régional. Pour autant, les Israéliens ont un très large spectre de ripostes possibles. Des cyberattaques contre des sites localisés en Iran. Ou bien la reprise d’assassinats ciblés comme ils ont fait à Damas, des frappes contre le Hezbollah, des frappes contre les Houthis… Cependant, il y a un nouveau risque à prendre en compte, étant donné que les Gardiens de la Révolution iraniens ont annoncé que toute attaque israélienne contre des intérêts iraniens, même en dehors du territoire iranien, ferait l’objet de ripostes depuis l’Iran.
Est-ce que cette attaque aura un impact à l’intérieur de l’Iran ?
Absolument. Le régime iranien se sentait contraint de réagir pour restaurer son potentiel de dissuasion et montrer à l’opinion publique iranienne qu’il n’allait pas tolérer la mort de «martyrs», selon le vocabulaire employé, le 1er avril, dans son consulat à Damas. Il est probable que la presse officielle iranienne enjolive les résultats de l’opération. Quelques fausses images circulent déjà dans les médias iraniens, prétendant qu’il y aurait des sites qui brûlaient en Israël, alors que ce n’est pas le cas. Le régime iranien a tout intérêt à faire croire que sa réaction était légitime, que c’est une victoire, et que désormais il appelle au retour au calme.
N’est ce pas-là finalement la principale raison de cette riposte calculée?
Les Iraniens auraient pu répliquer d’une façon bien différente. Par exemple en attaquant une ambassade à l’étranger, ou d’autres intérêts israéliens à l’étranger. Au contraire, ils sont allés volontairement plus haut dans l’escalade, tout en espérant en conserver la maîtrise, en rendant le coût d’une riposte plus élevé pour Israël. C’est aussi un message auprès des alliés régionaux de l’Iran: la Syrie, le Hezbollah, les Houthis plus indirectement aussi la Russie et la Chine. Pour bien montrer que l’Iran reste un partenaire crédible, et qu’on ne l’attaque pas impunément.