Notre-Dame de Paris «La même… mais pas tout à fait la même»
A huit mois de la réouverture de l’édifice touché par un incendie il y a cinq ans jour pour jour, les restaurations se concentrent désormais davantage sur l’extérieur de la cathédrale, qui devra combiner usage liturgique et nombreuses visites touristiques.
Adossée à un mur de la rue d’Arcole, l’octogénaire admire la façade de NotreDame. «Quand nous sommes à Paris, nous venons toujours voir le chantier», explique Michelle, qui habite Toulon. La fois précédente, c’était en novembre. Pour cette ancienne enseignante, Notre-Dame, c’est Notre-Dame, un point de référence, un patrimoine inaliénable. «Le soir de l’incendie, oui, j’ai pleuré», dit-elle. Comme des millions d’autres personnes, elle a eu peur que, lors de cette nuit du 15 au 16 avril 2019, il y a tout juste cinq ans, la cathédrale soit réduite en cendres. «C’était quand même impensable que cet incendie puisse avoir lieu», lâche Ghislain, médecin à Marseille, en déplacement professionnel à Paris. Lui aussi a fait un détour pour jeter un oeil aux travaux. Même fermée au public, la cathédrale attire. Sa réouverture est officiellement prévue le 8 décembre.
UNE NOUVELLE TOITURE EN PLOMB
Guide touristique à Paris, Lubo passe régulièrement, à vélo, voir le monument. Il a posé le pied à terre et a sorti son portable pour prendre quelques photos. Comme Michelle, il surveille de loin en loin l’avancée du chantier. Pour lui aussi, l’incendie demeure un moment marquant. «J’étais là avec ma fille quand la flèche est tombée ; c’était le soir de mon anniversaire», se souvient-il. Il photographie la nouvelle flèche, réplique à l’identique de celle qu’avait édifiée au XIXe siècle l’architecte Eugène Viollet-le-Duc, lors de sa grande campagne de restauration. «Oui, c’est la même, consent Lubo. Mais pas tout à fait la même, non plus. Il manque la patine des ans.» Symbole de la cathédrale, la flèche reconstruite est visible depuis deux mois dans le ciel de Paris. Comme si les marques de l’incendie s’effaçaient peu à peu. A l’intérieur, le monument a retrouvé sa blancheur originelle, la blondeur de ses pierres. Les restaurations sont terminées. Dans l’attente de la réinstallation des oeuvres à l’automne, notamment les peintures monumentales, qu’on appelle les «Mays», le chantier se concentre sur les installations techniques: éclairage, son et chauffage.
Ces temps-ci à l’extérieur, les couvreurs sont à l’oeuvre pour installer la nouvelle toiture en plomb. Chaque élément, une «table» dans le langage technique, pèse 60 kilos,
acheminé grâce à une des trois gigantesques grues utilisées pour les travaux. «Tout au long du chantier, nous avons eu des visions exceptionnelles sur la cathédrale», pointe Philippe Jost, président de l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris. Pendant de longs mois, la mise en place de la charpente a émerveillé passants et touristes. Pour Jost, ce chantier est «une aventure humaine exceptionnelle», animée «de fierté et de volonté collective d’avancer et de réussir».
«LE PATRIMOINE DE TOUS LES FRANÇAIS»
Dans les mois à venir, s’il y a polémique, elle se concentrera sur l’affaire des vitraux. Lors de sa dernière visite du chantier, le 8 décembre, le président de la République, Emmanuel Macron, a fait part de sa volonté d’installer à Notre-Dame des oeuvres contemporaines à la place de six verrières, créées au XIXe siècle par Eugène Viollet-leDuc et situées dans la nef. Las ! Celles-ci sont classées. Donc théoriquement, elles ne devraient pas être ôtées de l’édifice. «C’est effectivement illégal», appuie un spécialiste des monuments historiques. L’affaire revêt une importance politique ; elle est gérée en direct au ministère de la Culture par Rachida Dati. Alors la volonté du prince ? C’est le point de vue de Didier Rykner, le rédacteur en chef et fondateur du journal en ligne la Tribune de l’art qui a pris la tête du combat contre cet aménagement. Sa pétition a déjà recueilli plus de 130 000 signataires. Les opposants aux vitraux contemporains arguent que ceux qui existent n’ont pas été touchés par l’incendie. «L’Etat se comporte comme si la cathédrale lui appartenait. Elle ne lui appartient pas. C’est le patrimoine de tous les Français, du monde entier», tonne Didier Rykner, peu confiant dans le fait d’obtenir gain de cause. «Il y a ceux qui estiment que la cathédrale doit être figée dans le temps. Et puis il y a ceux qui pensent qu’elle mérite, bien sûr, le plus grand respect, mais pour qui l’histoire ne s’est pas arrêtée en 1860 [date de la fin de restauration par Viollet-le-Duc, ndlr] ou en 2019», avance, pour sa part, Philippe Jost. Le ministère de la Culture vient de lancer un appel à candidature. Les projets menés en binômes artistes-maîtres verriers doivent être présentés pour le 24 mai. Un prototype sera testé à l’automne mais les nouveaux vitraux ne seront pas installés avant 2026, bien après la réouverture de la cathédrale à la visite et au culte.
40 MILLIONS D’EUROS DE DONS
Les visiteurs ? C’est l’un des soucis qui pointe. L’incendie de la cathédrale a été un événement mondial ; la réouverture de l’édifice le sera aussi «Nous recevons déjà des demandes de groupes du monde entier, des pèlerins notamment qui veulent venir se recueillir devant les reliques», rapporte Olivier Josse, l’un des principaux collaborateurs d’Olivier Ribadeau Dumas, le recteur de Notre-Dame. «Le problème pour le clergé est de reprendre possession de sa cathédrale», estime un observateur attentif du chantier. Le projet est de notamment redonner du lustre au pèlerinage auprès de ce qui est réputé être la couronne d’épines du Christ, très prisé chez les chrétiens orthodoxes. Pour l’exposer, le diocèse a prévu un reliquaire monumental.
Avant l’incendie, la cathédrale, dont l’accès est gratuit (et le restera), était déjà surfréquentée, de 10 à 12 millions de visiteurs chaque année. Selon les dernières études, ce chiffre devrait grimper à 15 millions. La jauge du monument, elle, est incompressible : 3 000 personnes au maximum à l’intérieur. Il reste donc à organiser les flux pour éviter les longues files d’attente. Pour le clergé qui a longtemps craint de se faire déposséder de sa cathédrale, le défi est de combiner l’usage liturgique du lieu de culte avec les visites touristiques, de plus en plus nombreuses.
Remontant la rue du Cloître-NotreDame, Ghislain, le médecin de Marseille, s’étonne à la vue de la forêt d’échafaudages qui encercle encore la cathédrale : «Cela paraît incroyable que le chantier puisse s’achever d’ici huit mois.» La cathédrale doit ouvrir au public le 8 décembre, mais les travaux, eux, ne seront pas terminés. Il y aura encore des rénovations à mener à l’extérieur du monument. Se posera en particulier la question des arcsboutants qui soutiennent les murs de l’édifice. Quoi qu’il en soit, Emmanuel Macron est en passe de relever le défi lancé le soir du 15 avril 2019 : reconstruire NotreDame en cinq ans. Si cela a été possible, c’est évidemment grâce aux 40 millions de dons qui ont afflué pour rénover le bâtiment incendié. Jamais une telle somme n’avait été rassemblée pour une cathédrale. «Trump s’est moqué de la France le soir de l’incendie, disait qu’il fallait envoyer des bombardiers d’eau pour l’éteindre, rappelle Ghislain. On va lui clouer le bec !»