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Soudan : «C’est la pire des guerres», et surtout la plus oubliée depuis un an

Une conférence se tient à Paris ce lundi pour freiner la descente aux enfers d’un pays dévasté par un conflit aussi sanglant qu’invisible, et pour trouver des fonds afin d’éviter la famine.

- Par MARIA MALAGARDIS

C’est une guerre pour rien. Si ce n’est pour le contrôle du pouvoir que se disputent deux généraux, un temps alliés. Mais à quel prix? Celui de l’autodestru­ction du Soudan, un pays de 1,8 million de kil’ONG lomètres carrés, l’un des plus vastes d’Afrique. Il y a un an, le 15 avril, les premiers combats étaient déclenchés à Khartoum, la capitale, aujourd’hui coupée du monde. Depuis, une guerre sanglante oppose l’armée régulière dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane aux troupes paramilita­ires, les forces de soutien rapide (RSF) du général Mohamed Hamdane Daglo, surnommé Hemetti. Des dizaines de milliers de morts, 6 millions de déplacés internes, 1,7 million de réfugiés dans les pays voisins, des infrastruc­tures détruites, des champs brûlés qui ne sont plus cultivés, une économie qui s’est totalement effondrée: c’est pour tenter de faire face à l’une des pires crises humanitair­es au monde, alors que désormais la famine menace des pans entiers du pays, qu’une conférence internatio­nale est organisée ce lundi à Paris.

«Hallucinan­t». Parrainée par la France, l’Allemagne et l’Union européenne, elle est censée mobiliser les bailleurs de fonds, voire dessiner les pistes d’une paix qui semble bien improbable. 3,8 millions d’euros sont nécessaire­s pour répondre aux besoins les plus urgents. La communauté internatio­nale saura-t-elle les réunir ? «C’est la pire guerre, la plus sale, que j’ai vue depuis au moins vingt ans. Même en Tchétchéni­e, même en Syrie, je n’avais pas assisté à une telle déflagrati­on», confie Justine Muzik Piquemal, directrice régionale de Solidarité­s Internatio­nal, dont les équipes sont encore présentes dans le pays, mais aussi au Tchad, qui accueille désormais plus de 560 000 réfugiés venus de l’ouest du Darfour.

Une image continue de hanter cette humanitair­e pourtant aguerrie : «En juin, à Adré, à la frontière tchadienne, on a vu soudain arriver 80 000 personnes en quarante-huit heures. Ils arrivaient à pied, le long d’un chemin de terre. C’était hallucinan­t. Tous avaient des blessures par balles. Même les bébés, même les femmes enceintes», souligne Justine Muzik Piquemal. En janvier, un rapport d’enquête de l’ONU transmis au Conseil de sécurité, faisait état de 10 000 à 15 0000 morts entre juin et novembre dans la seule ville d’El-Geneina, à l’ouest du Darfour, cette région martyre qui longe la frontière du Tchad. Victimes d’«attaques coordonnée­s, planifiées et exécutées» par les RSF du général Hemetti, qui ciblent particuliè­rement la communauté Massalit, l’ethnie non arabe majoritair­e dans la région. Viols, harcèlemen­ts, pillages: les RSF, soutenus par les Emirats arabes unis et les troupes russes de Wagner, sont particuliè­rement visés par les enquêtes en cours. L’ONU évoque désormais un «possible génocide» au Darfour, et la Cour pénale internatio­nale dénonce «des crimes contre l’humanité». Mais dans ce conflit sanglant, l’armée régulière soutenue par l’Egypte et qui contrôle seule l’espace aérien, s’est également rendue coupable de bombardeme­nts aveugles dont l’impact reste difficile à évaluer en raison des difficulté­s à circuler dans ce pays détruit.

Interligne. Les humanitair­es sont en effet confrontés à des blocages constants, des interdicti­ons d’accès à certaines zones, des tracasseri­es bureaucrat­iques pour obtenir des visas. «Des camions sont bloqués avec des vivres non distribués et les gens n’ont plus de cash, la monnaie s’est effondrée. Il faudrait au moins 300 camions pour faire face à la famine qui menace», s’inquiète encore Justine Muzik Piquemal. «On voit désormais des femmes arracher l’écorce des arbres pour nourrir leurs enfants», s’alarme-telle. Sur 48 millions de Soudanais, 18 sont désormais déclarés «en insécurité alimentair­e aiguë», dont «40 % des femmes allaitante­s et un quart des enfants examinés», par Médecins sans frontières qui décrit une «situation

catastroph­ique».

Reste que les groupes de négociatio­ns impliqués dans le conflit, l’Union africaine, le bloc est-africain de l’Igad, la Ligue arabe ou les Etats-Unis alliés aux Saoudiens, n’ont jamais réussi à unifier leurs efforts pour forcer les deux camps à s’asseoir à la même table et mettre un terme à cette guerre aveugle. La conférence de Paris aura-telle plus de succès ? D’ores et déjà, le gouverneme­nt officiel allié au général Al-Burhane, et réfugié dans la ville de PortSoudan, s’est déclaré «indigné» par la tenue de cette réunion, dénoncée comme une atteinte à la «souveraine­té» du pays. Les humanitair­es, eux, déplorent surtout une «guerre oubliée». Essentiell­ement invisible. Les journalist­es étrangers ne sont pas autorisés à se rendre sur place. L’absence d’image, et souvent d’informatio­ns précises, entrave aussi la mobilisati­on en faveur du Soudan confronté depuis un an à une descente aux enfers qui semble sans fin.

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PHOTO JORIS BOLOMEY.. AFP Des réfugiés soudanais dans un camp au Tchad, le 8 avril.

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