«Testons toutes les eaux conditionnées et publions les résultats»
Après les alertes sur certains sites de production d’eau en bouteille, dont Nestlé, le professeur en santé publique et environnementale Yves Lévi réclame un «descriptif exact des contaminations microbiologique et chimique».
Spécialiste des risques sanitaires et environnementaux liés aux micropolluants organiques dans l’eau, Yves Lévi, professeur émérite à l’université Paris-Saclay, appelle à une campagne immédiate d’analyses indépendante des eaux en bouteille.
Faut-il avoir des doutes sur la qualité des eaux en bouteille ?
Il ne s’agit pas de doutes ! Comme l’a montré un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, c’est certain, des pratiques illégales ont été mises au jour dans des usines dont celles de Nestlé à la suite de la dénonciation d’un salarié : des eaux en bouteille, dont la consommation relève, en France, du confort ou du luxe, ont été traitées en cachette. Or c’est contraire à la réglementation. Ensuite, sentant que la pression montait, certains producteurs ont pris les devants en se dénonçant.
Que dit la réglementation française ?
Le code de la santé établit une distinction claire, parmi les eaux conditionnées, entre «eaux de source» et «eaux minérales naturelles». Les premières, comme parfois celle du robinet, sont issues des eaux souterraines et peuvent être purifiées par un traitement. Les secondes ont la particularité de potentiellement dépasser les valeurs en sels minéraux retenues pour l’eau du robinet et doivent conserver leur pureté originelle sans traitements. Certaines sont très minéralisées, d’autres très peu. Elles reçoivent un label de l’Académie nationale de médecine attestant leurs propriétés curatives. Leur pureté naturelle doit être protégée : si on les traite, on les dénature. Cette distinction renvoie à l’histoire des cures thermales, quand les malades allaient se soigner, par exemple à Vichy ou à Evian. De retour chez eux, ils achetaient de «l’eau de la cure» à la pharmacie. Ces eaux minérales naturelles sont un bien précieux pour la santé.
Comment comprendre que des traces de contamination fécale aient pu y être trouvés ?
Ce genre de contamination microbiologique peut tout d’abord être dû à une pollution de la ressource elle-même, c’est-à-dire du forage ou de la source. La présence de l’indicateur bactérien Escherichia coli dans l’eau signifie que des matières fécales ont pu la souiller. Et c’est d’autant plus grave dans une eau portant un label d’eau minérale naturelle ! La contamination peut aussi avoir lieu dans l’usine elle-même, à cause d’un entretien insuffisant des canalisations ou d’un processus de production mal géré. La pose de filtres, illégale, en bout de chaîne peut masquer des procédures de nettoyage insuffisantes. Les filtres bloquent les bactéries mais peuvent laisser passer des virus. Ces révélations dans les médias sèment le doute sur la qualité générale des eaux minérales naturelles en lesquelles les consommateurs avaient confiance.
La présence d’autres polluants dans l’eau en bouteille a été évoquée. Que signifie-t-elle ?
L’accès aux données n’est pas public. Les médias évoquent la mise en place d’un traitement à base de charbon actif qui est la méthode utilisée pour purifier l’eau potable en cas de présence de certains polluants organiques comme les pesticides et leurs métabolites. Ceux-ci posent de sérieux problèmes dans de nombreux sites en Europe. De manière générale, la composition des eaux en bouteille diffère selon les marques et les sources. On y trouve aussi des microplastiques à cause du processus de fabrication des bouteilles.
L’eau en bouteille est-elle encore sûre ?
La qualité de ces eaux est contrôlée par les agences régionales de santé. Mais les autorités sanitaires doivent urgemment fournir un descriptif exact des contaminations microbiologique et chimique. Il suffit d’environ trois semaines pour analyser un large panel de contaminants et fournir de telles données à la population ! Testons un échantillon représentatif de toutes les eaux conditionnées et des ressources en eau dont elles sont issues et publions les résultats. L’opération, simple, ne coûte pas une fortune. De nombreux laboratoires publics ou privés possèdent ces compétences.
Les récentes alertes sur la pollution de nappes phréatiques et de cours d’eau par des Pfas, famille de substances toxiques, ont semé le doute. L’eau du robinet est-elle plus sûre ?
Il faut se garder de généraliser. Il n’existe pas une «eau du robinet» mais de nombreuses, qui correspondent à plus de 30 000 systèmes de distribution différents en France. La qualité varie d’un village à l’autre, d’un quartier de ville à l’autre. A Paris, la composition minérale de l’eau du robinet est comparable à celle de l’eau d’Evian ! Moi qui travaille dans le domaine depuis quarante ans, je bois l’eau du robinet partout en France métropolitaine, sans inquiétude. Sa composition est publique et consultable dans les mairies, sur les sites des communes ou du ministère de la Santé. Dans le monde, les pays où on peut la boire sans crainte ne sont pas très nombreux.
Néanmoins, tout n’est pas parfait, et la découverte récente de ces polluants émergents induit de nouvelles contraintes de traitement pour de nombreuses communes. Il faut prendre conscience de l’importance vitale de la qualité de nos ressources en eau et agir pour les restaurer et les protéger.