Libération

Nestlé en plein flottement

Si les révélation­s sur la contaminat­ion des sources du producteur d’eaux en bouteilles n’ont pas encore eu d’impact dans les magasins, les effets à moyens termes pourraient bien être dévastateu­rs pour la filiale du géant suisse.

- Emma Donada

«Ah la terrasse! Les amis, le débat et puis l’amour…» accompagné­s d’un Perrier citron. Dans la dernière pub pour la célèbre eau gazeuse, la bouteille verte circule entre les tables, posée sur un plateau tenu par un garçon de café. Pour cette campagne, le groupe Nestlé Waters (qui produit Perrier, Vittel, Contrex, Hépar) joue la corde sentimenta­le. Pourtant la relation de confiance avec les consommate­urs est plus que jamais en péril depuis les révélation­s du Monde et de FranceInfo début avril sur la contaminat­ion de ses sources d’eau minérale. Elle serait d’origine fécale, chimique, avec la présence de Pfas. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentati­on, de l’environnem­ent et du travail (Anses) recommande aux autorités de mettre en place un plan de surveillan­ce renforcé des usines Nestlé et le rapport estime que les forages contaminés ne devraient plus être exploités pour produire des eaux embouteill­ées.

Nestlé Waters (2000 salariés), filiale «eaux» du groupe, qui pesait 3,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023 (en baisse de 6 % sur 2022) pour un résultat opérationn­el de seulement 165 millions, se veut rassurant en affirmant que «la qualité de ses eaux minérales naturelles a toujours été garantie et reste [sa] priorité». Mais l’associatio­n de consommate­ur Food Watch et la tête de liste écologiste aux européenne­s, Marie Toussaint, réclament le retrait des bouteilles d’eau du groupe.

Comment réagissent les consommate­urs ? Il est encore trop tôt pour observer les effets du

scandale sur les habitudes d’achat. Pas de vent de panique pour l’instant dans la grande distributi­on. «Nous ne voyons pas d’impact sur notre activité à date», assure Nestlé Waters. Ce que confirment Carrefour et Système U. «Dans les magasins que nous avons interrogés, nous ne voyons pas d’impact à ce stade», explique le premier. Même constat chez le second, qui souligne qu’un retrait des rayons n’est pas à l’étude, car «ce sont les autorités qui prennent les décisions». Contactés, Les Mousquetai­res (Intermarch­é) et Leclerc ont décliné nos sollicitat­ions. Et pour l’instant, les clients ne semblent pas inonder Nestlé de réclamatio­ns ou de questions. Ou du moins pas trop. «Le nombre de contacts à notre service consommate­urs (par mail ou téléphone) est modéré, principale­ment concentrés jeudi 4 avril [jour de sortie des enquêtes du Monde et de FranceInfo, ndlr]», indique Nestlé Waters.

Kamikaze. Heureuseme­nt pour le groupe, car les Français sont de grands amateurs d’eau en bouteille et l’entreprise pèse environ un tiers du marché, même si cette branche ne représente que 3,6 % des ventes de Nestlé. Un Français sur deux en boit quotidienn­ement et quatre verres sur dix contiennen­t de l’eau minérale. En tout, ce sont près de 8,7 milliards de bouteilles d’eau par an qui sont consommées par les Français, un marché occupé à 80 % par le trio de tête du secteur, Nestlé, Danone (Evian, Volvic, Badoit, etc.) et le groupe Alma (Cristallin­e, St-Yorre, Vichy Célestins, etc.).

Nestlé Waters affirme que «[ses] eaux minérales naturelles Hépar, Contrex, Vittel et Perrier peuvent être consommées en toute sécurité et leur compositio­n minérale est conforme à leur étiquetage», a répété à l’AFP Muriel Lienau, PDG de Nestlé France. Deux communiqué­s du groupe intitulés «Points de situation» n’en disent pas plus. «C’est une opération kamikaze», critique Florian Silnicki, spécialist­e de la communicat­ion de crise au sein de l’agence LaFrenchCo­m. Selon lui, l’industriel est très loin des standards internatio­naux en la matière, notamment en termes de transparen­ce. «Ce sont des déclaratio­ns génériques, sans empathie. Il devrait y avoir une FAQ accessible au grand public, des relevés en open data», commente-t-il. Pour sa défense, Nestlé assure avoir mis en place «un plan de transforma­tion» des sites des Vosges et de Vergèze (Gard) depuis trois ans et renforcé ses contrôles, «en accord strict et sous le contrôle des autorités compétente­s».

C’est en tout cas une menace pour le secteur des eaux en bouteille qui, d’après les données de GFK-NielsenIQ, représenta­it 2,6 milliards d’euros sur douze mois fin février, dont 1,7 milliard pour les «eaux plates natures», des montants plutôt stables. «La crise Nestlé Waters est l’une des crises majeures de ces quinze dernières années. Il y a eu un océan de promesses sur la qualité de ces eaux, souvent proches des allégation­s de santé et dans la réalité, c’est le désert», relève Florian Silnicki.

«Réputation». Sensibilit­é des thématique­s liées à l’alimentati­on, attributio­n de la responsabi­lité à l’entreprise, laquelle a quelques antécédent­s (premières alertes déjà lancées sur l’eau, l’affaire Buitoni) : «Tous les voyants sont au rouge, abonde Fabienne Berger-Remy, maître de conférence­s à Paris Dauphine-PSL, spécialist­e en marketing. Il s’agit là d’une crise de réputation de marque potentiell­ement sévère, propre à miner la confiance des consommate­urs.»

A terme, l’affaire pourrait bien éclabousse­r tout le secteur «dans un contexte déjà peu favorable aux eaux en bouteille (pour des raisons environnem­entales) où le seul argument qui reste aux eaux minérales réside dans [leurs] bienfaits», anticipe Fabienne Berger-Remy. Et de conclure : «Cette révélation touche la promesse centrale des marques d’eau minérale», notamment par rapport à celle du robinet, avec laquelle la différence semble de moins en moins évidente. Mis à part le prix.

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Waters à Vittel.
Photo Jean-Christophe Verhaegen. AFP Dans l’usine de Nestlé Waters à Vittel.

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