Libération

Même le capitalism­e est choqué par les 36 millions de Carlos Tavares

- Par Jean-Christophe Féraud Chroniqueu­r politique

Carlos Tavares a une très haute estime de sa valeur de patron : d’année en année, il la fait fructifier par son employeur via un salaire à huit chiffres. Et tous les ans c’est le même sketch qui se rejoue autour de la rémunérati­on stratosphé­rique du directeur général du constructe­ur automobile Stellantis. Acte I : révélation des émoluments de l’exercice passé, cette fois on parle de 36,5 millions d’euros au titre de 2023, après les 23,5 millions de 2022 et les 66 millions de 2021. Acte II: stupeur et tremblemen­ts, puis polémique à intensité variable en fonction du climat social autour du salaire «indécent» du patron star. Acte III : vote des actionnair­es de Stellantis contre le mégasalair­e de Tavares sur le thème «Carlos quand même il exagère, ce n’est pas bon pour l’image du groupe». Mais quand le rideau tombe, l’intéressé empoche toujours le pactole, l’avis de la supposée «démocratie actionnari­ale» étant purement consultati­f vu que le siège de Stellantis est basé aux Pays-Bas (où la version française du «say on pay» ne s’applique pas). Et puis… et puis rien: tout le monde ravale son indignatio­n jusqu’à l’année prochaine.

L’assemblée générale de Stellantis, qui se tient ce mardi à 14 h 30 à Amsterdam devrait rejouer la même farce de «l’autorégula­tion» d’un grand patronat français qui se compare aux stars du ballon rond quand on lui dit qu’il abuse sur les primes d’objectifs, package d’actions et autres bonus. «Tavares, c’est vraiment le Mbappé de l’automobile», l’avait ainsi défendu l’an dernier l’anoublier cien président du Medef Geoffroy Roux de Bézieux. Mais cette année, l’intérêt du spectacle devrait être ravivé par la fronde de trois sociétés de conseil aux actionnair­es, ISS, Proxinvest et Glass Lewis, qui n’ont rien d’officines trotskiste­s et recommande­nt pourtant unanimemen­t de voter contre les 36,5 millions promis à Carlos Tavares au titre de 2023. Même le capitalism­e semble choqué par la gloutonner­ie du patron de Stellantis qui ferait presque l’avidité qui a provoqué la chute d’un autre «Carlos», l’ancien big boss de Renault.

L’an dernier, Stellantis a certes explosé tous ses records en engrangean­t un superprofi­t de 18,6 milliards d’euros. Mais Tavares, qui était déjà le patron le mieux payé du CAC 40, s’est tout de même augmenté de 55 %, grâce à une «prime de performanc­e» de 10 millions d’euros récompensa­nt la «transforma­tion» du groupe né en 2021 de la fusion de PSA Peugeot-Citroën et Fiat Chrysler. Le bénéfice de son entreprise n’a progressé lui que de 11 %. Et en 2023, le patron de Stellantis aura gagné, chaque jour, autant qu’un salarié de Stellantis sur toute l’année. Le document de référence indique en effet que le directeur général a perçu 518 fois plus qu’un salarié moyen. Pour tenter de désamorcer la polémique, l’entreprise a

«J’investis pour mes petits-enfants dans des oliviers et des vignes au Portugal.»

Carlos Tavares

certes annoncé qu’elle allait redistribu­er 1,9 milliard d’euros à ses employés dans le monde. Soit une prime de 4 100 euros pour les plus bas salaires, ce qui n’est pas rien. Mais la rémunérati­on de Tavares «est excessive même dans ce contexte», assène ISS, qui la chiffre plutôt à 42 millions d’euros en incluant des éléments de rétributio­n différés.

Surtout quand on la compare avec celle de ses pairs. Verdict : le patron de Stellantis gagne 6,77 fois plus que le salaire médian des grands patrons de l’automobile et d’autres multinatio­nales. Ce niveau de rémunérati­on «est considéré comme élevé même par rapport aux pairs américains», tranche ISS. De fait, le salaire démentiel de Carlos Tavares surpasse celui du patron de Ford, Jim Farley, pour 2023 (26,4 millions de dollars, soit 24,4 millions d’euros) et éclipse celui du patron de Toyota, Koji Sato, qui se «contente» de 6,3 millions d’euros alors que le constructe­ur japonais reste le numéro 1 mondial de l’automobile loin devant Stellantis. Un autre cabinet américain, Glass Lewis, ajoute un élément à charge : «Les actionnair­es doivent avoir cons

cience que l’entreprise a engagé le licencieme­nt de milliers d’employés de Chrysler à Detroit et Toledo» et pointe au vu du décalage «le risque réputation­nel potentiel». La même polémique risque de monter en Italie où l’opinion s’étrangle de voir Stellantis supprimer des emplois.

Il y a donc de fortes chances que les actionnair­es de Stellantis, pourtant gâtés avec 7,7 milliards reversés en dividendes, votent ce mardi contre le mégasalair­e du patron de Stellantis. Mais Tavares devrait s’asseoir une fois de plus sur leur avis et disposera de ses millions comme bon lui semble. «J’investis pour mes petits-enfants dans des oliviers et des vignes au Portugal», expliquait-il récemment à Challenges. Le plus choquant dans cette affaire, ce n’est pas tant l’absence de mesure de Tavares, que le silence du gouverneme­nt qui, au même moment, évite toujours de taxer les superprofi­ts et s’apprête à rendre la vie encore plus dure à des millions de chômeurs. En 2022, Macron avait pourtant fustigé le montant «choquant et excessif» de la rémunérati­on de Tavares. Mais il est vrai que l’on était à la veille d’un scrutin présidenti­el.

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Photo Massimo Pinca. Reuters Le PDG de Stellantis, Carlos Tavares, au complexe Mirafiori à Turin, mercredi.

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