Frappes de l’Iran sur Israël : une riposte mise en scène
Il ne faut jamais oublier que l’Iran est l’héritier d’un vieil empire très sophistiqué, qui pratique depuis des millénaires les rapports de force. L’attaque de samedi soir est un modèle de sophistication, qui permet à Téhéran certes de créer un climat de tension, mais sans faire trop monter les enchères.
C’est d’abord une question de dosage, avec ces 300 drones et missiles qui, compte tenu de la distance entre l’Iran et Israël – plus de 1 600 km –, ont mis plusieurs heures avant d’atteindre leurs cibles potentielles. Ensuite, le choix précisément de ces cibles : des installations militaires mineures, les grandes villes ayant été soigneusement évitées. Le Hezbollah libanais se contentant de son côté de lancer quelques roquettes, et les Houtis yéménites d’arraisonner un cargo appartenant à un milliardaire israélien.
Le communiqué iranien qui clôt cette séquence est un petit chef-d’oeuvre : «l’Iran s’estime vengé», ce qui signifie qu’«on s’arrête là». Evidemment, si l’Etat hébreu ripostait à la riposte, l’Iran serait prêt à la bataille, mais il ne la souhaite pas. Le désir de guerre est donc bridé volontairement. Ce n’est pourtant pas l’envie qui doit manquer à l’Iran de montrer à Israël qu’il est devenu l’autre grande puissance militaire de la région, capable de rivaliser avec lui, a fortiori lorsqu’il aura la bombe atomique. En attendant, Téhéran la joue finaude, limite l’ampleur de sa riposte, les mollahs ne souhaitant pas que d’escalade en escalade, les Israéliens aillent frapper les installations nucléaires dans le sous-sol du désert. L’épisode de samedi soir a été mis en scène par l’Iran conjointement avec les Etats-Unis, avec le guide suprême Ali
Khamenei et le président Joe Biden en guise de marionnettistes. L’ayatollah se devait de brider les galonnés de son étatmajor, qui voulaient venger la mort de ses généraux, les uns tués par les EtatsUnis, les autres par Israël. Benyamin Nétanyahou l’a jouée comme d’habitude dans la soirée de samedi : bravache. «Israël est prêt à faire face à n’importe quel scénario, tant en matière de défense que d’attaque», a déclaré le Premier ministre israélien, une phrase qui laisse toutes les hypothèses ouvertes.
Biden, lui, a rappelé sobrement que «les Etats-Unis se tiendront aux côtés du peuple d’Israël» et que leur soutien «est inébranlable». Sur la table, des arguments militaires très convaincants : deux porte-avions, des sous-marins nucléaires, une flotte équipée de missiles… La dissuasion américaine était donc au rendez-vous, sans compter les puissances alliées, en particulier le RoyaumeUni, la France et la Jordanie. Mais Biden s’est aussi engagé à brider le Premier ministre israélien, prêt à jouer l’embrasement général de toute la région pour rester au pouvoir, pour échapper à la justice, à la commission d’enquête parlementaire sur le 7 Octobre, à sa défaite électorale qui se profile… Mais aussi pour aller détruire les installations nucléaires iraniennes. Si une telle riposte devait se produire, «ce sera sans nous», ont averti les Etats-Unis. Reste à dimensionner la réaction d’Israël. Elle fait évidemment l’objet de négociations très sévères à Washington.
Quel beau couple que Khamenei et Biden, deux têtes froides très efficaces, nourries par l’histoire : depuis la prise d’otages de l’ambassade américaine à Téhéran en 1979, la diplomatie américaine connaît bien les négociations avec les mollahs. A l’époque, il avait fallu pour trouver une porte de sortie engager une négociation qui comportait un volet financier mais aussi un volet fournitures, l’ayatollah Khomeini voulant, en échange des otages, que soient livrées des pièces détachées pour les avions de chasse américains achetés par le chah (négociations qui devaient déboucher sur l’affaire Iran-Contra sous la présidence Reagan). Aujourd’hui, Benyamin Nétanyahou plaide auprès des Etats-Unis que l’occasion de bombarder le plus vite possible les sites où se prépare la bombe nucléaire iranienne ne se représentera pas de sitôt. Le Premier ministre israélien aimerait bien entraîner les Etats-Unis dans une opération de ce type. Mais Biden s’y oppose : il ne veut pas d’une guerre où il serait emmené malgré lui. Ce serait une étrange entrée en campagne électorale qui risquerait de ruiner ses chances d’être réélu.