Libération

Arbitrage Lyon-Brest : une injustice à couper le sifflet

- Par Grégory Schneider Journalist­e au service Sports

On imagine qu’il parlait sous le coup de l’émotion. Et le mal était fait. Mais quand même. Entendre Jean-Michel Aulas, vice-président de la Fédération française de football (FFF), expliquer que «l’Olympique lyonnais est fait pour être tout en haut» du classement, alors que le naufrage de l’arbitre Mathieu Vernice a permis aux Gones de l’emporter (4-3) au bout du match devant le Stade brestois, nous a fait tout drôle. Le foot est ce qu’il est : un ou deux coups de sifflet suffisent à faire tourner un match. Et ils ne sont pas faciles à décider. On parle en effet à chaque fois d’une interpréta­tion, l’obligation pour Mathieu Vernice et ses pairs de dire blanc ou noir (je siffle ou pas) alors que tout est gris, et toutes les nuances de gris y sont aussi. N’empêche. Dimanche soir à Décines, c’est une pleine brouette de coups de sifflet (ou non) qui sont venus au secours de l’Olympique lyonnais ; une main non sifflée du défenseur lyonnais Jack O’Brien, un rouge possibleme­nt oublié pour son coéquipier Maxence Caqueret, une expulsion sévère (pour dire le moins) du meilleur joueur brestois Pierre Lees-Melou, et on en passe. Chaque action peut se discuter, mais leur récurrence et le fait qu’elles soient toutes à sens unique dit quelque chose. Et ça fait trois matchs que l’Olympique lyonnais, revenu des tréfonds de la Ligue 1 (il était relégable en décembre) parce qu’il a mis la cinquantai­ne de millions nécessaire­s lors du mercato d’hiver pour se payer une nouvelle équipe, rencontre une bonne fortune similaire. Le 2 avril, en demi-finale de Coupe de France, Stéphanie Frappart avait déjà démoli le Valencienn­es FC (3-0) au point d’être affublée d’un rarissime «1» dans les notes du journal l’Equipe qui a dit, en passant, se défendre d’accusation­s de misogynie. Et le 7 avril à Nantes, Jérôme Brisard a oublié un rouge pour un coup de coude d’Alexandre Lacazette avant que l’OL ne renverse la partie grâce au même Lacazette (1-3), au grand dam du coach des Canaris, Antoine Kombouaré, pourtant peu coutumier des contestati­ons.

Trois fois en trois matchs, mais c’est toute l’histoire du foot. On peut toujours raconter des fables du genre «les erreurs s’équilibren­t» : quand leurs décisions prêtent à discussion, ce qui est loin d’être systématiq­ue et heureuseme­nt, elles penchent toujours du côté du manche. Du puissant. Du club installé. Du plus riche, le plus influent, le plus important à l’échelle de la Ligue 1. Et c’est comme ça partout depuis un siècle. Applicable au football de sélections, où le niveau des arbitres concernés ne peut être mis en cause : une des demi-finales des deux dernières grandes compétitio­ns internatio­nales, l’Euro 2021 (le match Angleterre-Danemark) et le Mondial 2022 (Argentine-Croatie), a tourné sur un penalty de farceur. Comme si on essayait de boucler le système sur lui-même : 22 Coupes du monde disputées mais 8 lauréats seulement, le mythe de quelques élus sortis de la cuisse d’un Jupiter footballis­tique. On peut tout naturellem­ent nous taxer de complotism­e de bas étage, on peut du reste l’entendre, mais il ne faut pas ignorer non plus la force du conditionn­ement médiatique qui pèse sur ceux qui tiennent le sifflet, le réel savoir-faire de certains acteurs en la matière (le sélectionn­eur Didier Deschamps n’est pas le dernier), la porosité des intérêts des uns et des autres («On ne va quand même pas arbitrer Neymar comme

un joueur normal», benoîtemen­t lâché par un ancien arbitre sur le plateau de la chaîne l’Equipe) et tout le reste. Un jour, un arbitre de Ligue 1 en exercice nous a expliqué que s’il se trompait en faveur du «petit», il se ferait plier médiatique­ment par les dirigeants lyonnais pendant une semaine alors que s’il agissait à l’inverse, on n’entendrait plus parler de rien au bout de vingtquatr­e heures. Il faut s’y résigner aussi.

Et admettre une part de théâtre, pour ne pas parler de fiction, dans le football d’aujourd’hui. Au vrai, un match n’est jamais arbitré sur le moment, ou pas seulement. L’arbitre est au milieu d’un champ de forces et il arrive avec ses représenta­tions : le diable est là quelque part. Dimanche, il est sorti au grand jour. Voir un vice-président de la FFF, tutelle (faut-il le rappeler) des arbitres, se réjouir publiqueme­nt de la bonne fortune de l’Olympique lyonnais au détriment du Stade brestois est tout bonnement scandaleux. Bon courage à ceux qui arbitreron­t l’Olympique lyonnais dans les semaines à venir.

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