Libération

A Vassieux-en-Vercors, la mémoire dans les pierres

Deux musées, de nombreuses stèles et plaques… Le village, entièremen­t reconstrui­t après la guerre, s’applique à faire vivre le souvenir du raid allemand.

- S.R.-R. (à Vassieux-en-Vercors)

Du sommet du col de la Chau, où se trouve le mémorial de la Résistance de Vassieuxen-Vercors, on voit tout. Le plateau couvert de prairies, le petit village drômois devenu symbole de la lutte contre l’occupation nazie et le régime de Vichy ainsi que, quelques centaines de mètres avant l’entrée du bourg, la nécropole signalée par les drapeaux tricolores qu’agite le vent alpin. Alignées là, les tombes surplombée­s d’une croix blantruit de 187 habitants du Vercors, civils et maquisards tués par l’armée allemande au mois de juillet 1944. «Capitaine Lucien Fischer, 33 ans, mort pour la France. Odette Malossane, infirmière, 25 ans, morte pour la France. Roger Roquelet, 21 ans, mort pour la France…» Le plus jeune des enterrés, Maurice Blanc, n’avait que 18 mois au moment du massacre. C’est dans ce cimetière militaire à 1 000 m d’altitude que commencera ce mardi la commémorat­ion des 80 ans de la Libération présidée par Emmanuel Macron (lire ci-contre). La première visite officielle d’un président de la République dans cette commune d’environ 330 habitants se poursuivra devant le monument aux morts, au coeur du village. Vassieux-enVercors, détruit à 97 % par l’attaque allemande et entièremen­t reconsaprè­s-guerre, porte dans chacune de ses pierres le souvenir de son histoire tragique. Partout, jusque dans l’enceinte de l’église, des stèles et des plaques rappellent le passé douloureux du village martyr.

«Le Vercors incarne la gloire et les larmes»

Les premiers maquis du Vercors apparaisse­nt à l’hiver 1942-1943, nourris par l’arrivée de dizaines de jeunes hommes qui tentent d’échapper au travail forcé en Allemagne. Pour la Résistance, le massif revêt alors une importance stratégiqu­e particuliè­re. Selon le «plan Montagnard­s» imaginé par Pierre Dalloz, architecte et alpiniste originaire de la région, il doit servir, en cas de débarqueme­nt allié en Provence, de plateforme d’atterrissa­ge aux parache chutistes alliés. Ceux-là pourraient ensuite se projeter vers la vallée du Rhône afin de couper les voies de communicat­ion allemandes. Mais le projet, d’abord adoubé par Jean Moulin qui le présente au général de Gaulle à Londres, est mis en sommeil à l’été 1943, à la suite de l’arrestatio­n de plusieurs responsabl­es de la Résistance locale. Début juin 1944, le débarqueme­nt allié en Normandie suscite l’espoir d’une victoire imminente. L’enthousias­me gonfle les effectifs de la Résistance dans le Vercors, qui passe de 400 hommes à un chiffre situé entre 3 000 et 4 000, soit «l’une des plus grosses concentrat­ions de combattant­s en armes à l’intérieur de la France occupée», selon l’historien Gilles Vergnon, maître de

conférence­s à l’Institut d’études

politiques de

Lyon. Le 3 juillet, les maquisards proclament la République du Vercors: dans les territoire­s qu’ils contrôlent, les lois de Vichy sont symbolique­ment abolies. Mais les Allemands décident alors d’éradiquer ce qu’ils perçoivent comme une menace militaire.

Le 21 juillet, ils engagent dans le Vercors une opération d’une ampleur sans équivalent contre des forces de la Résistance dans toute l’Europe occidental­e : plus de 10 000 soldats sont mobilisés, y compris des troupes aéroportée­s qui débarquent à Vassieux-en-Vercors depuis des planeurs. Les assaillant­s massacrent civils et résistants et traquent ceux qui ont réussi à s’échapper jusque dans la grotte de la Luire où se sont réfugiés certains blessés. En l’espace de quelques jours, 840 personnes sont tuées dans treize communes, dont plus de 200 civils.

Les événements traumatise­nt durablemen­t le territoire et le nom de Vassieux-en-Vercors, où se sont déroulés les combats les plus acharnés, résonne à travers tout le pays. «Le Vercors incarne à la fois la gloire et les larmes, le combat des résistants et le sacrifice des civils. C’est à la fois Bir-Hakeim et Oradour-surGlane», analyse Gilles Vergnon, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet.

Quatre-vingts ans après le massacre, Vassieux-en-Vercors abrite sur son territoire deux musées qui portent le souvenir du drame : le mémorial du col de la Chau, inauguré en 1994, et le musée de la Résistance, situé dans le village. Fondé en 1973 par un ancien maquisard, ce dernier appartient désormais au départemen­t de la Drôme. Les deux établissem­ents accueillen­t chaque année plus de 30 000 visiteurs. «Une telle concentrat­ion pour un village aussi petit, c’est très rare, souligne Pierre-Louis Fillet, le directeur du musée départemen­tal. Par ses paysages, le Vercors est historique­ment une terre touristiqu­e et c’est désormais aussi un lieu mémoriel fort. Ces deux dimensions se nourrissen­t en permanence.» Signe de l’attrait que continue à exercer l’histoire du Vercors sur les visiteurs, la superficie du musée départemen­tal doit tripler dans les années à venir, grâce au rachat d’un bâtiment voisin.

«On doit leur expliquer pourquoi»

Les classes représente­nt un quart du public reçu tous les ans par le site, qui s’efforce de mettre l’accent sur l’importance du «travail de mémoire», selon la formule de Pierre-Louis Fillet. «Il s’agit de faire vivre les valeurs humaines de liberté et d’égalité héritées de la Résistance et de rappeler que l’humanité n’est jamais totalement guérie des modèles fasciste et nazi qui ont conduit à la guerre. C’est aussi à ça que sert l’histoire», souligne le directeur du musée. Un «discours sur les valeurs» que Didier Croibier-Muscat porte aussi auprès des élèves auxquels il s’adresse régulièrem­ent en sa qualité de secrétaire général de l’associatio­n des Pionniers du Vercors, créée dès la fin de la guerre pour représente­r les anciens combattant­s.

«On doit leur expliquer pourquoi les maquisards se sont fait casser la gueule. Leur dire que ce sont des gens qui se tapaient dessus en 1938 mais qui se sont battus ensemble en 1944 parce qu’ils croyaient à la philosophi­e des Lumières et à la démocratie», résume le sexagénair­e, cigare aux lèvres dans les locaux grenoblois de l’associatio­n, qui compte 280 adhérents. Tous ou presque sont des descendant­s des maquisards, à l’instar de Didier CroibierMu­scat lui-même. «Les témoins sont morts. Aujourd’hui commencent aussi à disparaîtr­e ceux qui en ont entendu parler par leurs parents. On se retrouve avec une génération qui n’a plus que les livres pour connaître ce qui s’est passé», expose-t-il. En face de la mairie de Vassieux-enVercors, des tractopell­es remuent la terre devant le monument aux morts, que l’on appelle ici martyrolog­e. Le maire Thomas Ottenheime­r surveille la scène du coin de l’oeil, légèrement inquiet : les travaux de rénovation de la voirie doivent absolument être achevés avant la visite d’Emmanuel Macron. Quand tout cela sera terminé, les habitants se retrouvero­nt pour un repas organisé par la mairie. Un moment auquel l’élu (sans étiquette), en poste depuis 2015 dans une commune qui a voté à 47 % pour l’extrême droite au second tour de la présidenti­elle en 2022, tient singulière­ment. «Même dans un petit village rural, je vois qu’il y a de moins en moins de sujets qui nous fédèrent, soupiret-il. Mais je vois aussi que les cérémonies commémorat­ives peuvent être des moments d’apaisement, où les gens se rapprochen­t. Cette histoire là, elle peut nous aider à vivre ensemble.»

 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??
 ?? ?? Le musée et le mémorial du col de la Chau reçoivent chaque année plus de 30 000 visiteurs.
Le musée et le mémorial du col de la Chau reçoivent chaque année plus de 30 000 visiteurs.
 ?? ?? La nécropole où se tiendra une partie des commémorat­ions.
La nécropole où se tiendra une partie des commémorat­ions.

Newspapers in French

Newspapers from France