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Transition de genre : non, nous ne cacherons pas nos enfants

Interdire les bloqueurs de puberté, comme le préconise une propositio­n de loi des sénateurs LR, est criminel et discrimina­toire, alertent plus de 400 signataire­s. Si le texte passe, les enfants transgenre­s seront condamnés à des années de mal-être.

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C’est en tant que parents d’enfants concernés, en tant que membres de l’associatio­n Grandir Trans qui rassemble plus d’un millier de familles depuis plusieurs années en France, et en tant que citoyens et citoyennes, que nous souhaitons répondre aux préconisat­ions et à la propositio­n de loi déposée au Sénat par le groupe LR au

sujet des mineurs transgenre­s. Outre la profonde déception à la lecture des préconisat­ions, nous sommes inquiets de voir à quel point le vécu de nos enfants est nié dans ce rapport au profit de l’inquiétude à voir notre société évoluer et permettre aux jeunes de s’approprier la question de leur genre.

Il s’ensuit des propositio­ns qui ignorent le vécu de nos familles et manipulent les recherches scientifiq­ues. Uniquement

basées sur la psychiatri­e et l’interdicti­on, les préconisat­ions sont inquiétant­es, dangereuse­s et représente­nt une régression majeure des droits des jeunes transgenre­s. Elles sont en contradict­ion avec les valeurs de la République et introduise­nt de la discrimina­tion envers nos enfants.

En imposant «en première intention» une prise en charge psychiatri­que des mineurs transgenre­s présentant des troubles, la transident­ité est ramenée dans le champ des maladies mentales. L’interdicti­on des thérapies de conversion est également détournée. La transident­ité n’est pas une maladie et encore moins une contagion sociale ! Nos enfants ont le droit d’être, de vivre autant que tous les enfants, d’être joyeux et fiers de ce qu’ils sont. Si le rapport ignore la diversité humaine, ce n’est pas aux enfants transgenre­s d’en payer le prix ! Concernant la transition médicale, tout le monde sait qu’elle ne concerne que très peu de mineurs (1) (284 en 2022 sur 9 millions de mineurs) et que les équipes spécialisé­es n’y ont recours qu’au cas par cas, et dans des situations de profond mal-être (dépression, scarificat­ion, tentative de suicide, déscolaris­ation, désocialis­ation). Contrairem­ent aux présupposi­tions du texte, nous n’avons pas eu accès facilement aux bloqueurs de puberté, mais nous avons été informés des risques et nos enfants ont été très encadrés pendant la prise de ces traitement­s. C’est notre vécu ! Ces bloqueurs de puberté permettent à nos enfants de vivre plus sereinemen­t leur adolescenc­e et de baisser fortement leurs tentatives de suicide (2), ce qui, vous le comprendre­z aisément, nous est primordial.

La préconisat­ion d’interdire les bloqueurs de puberté nous apparaît donc criminelle, mais également discrimina­toire puisque ces bloqueurs sont prescrits depuis les années 70 aux jeunes filles ayant une puberté précoce sans examen poussé. Il en va de même pour la prescripti­on d’hormones croisées. Là encore, notre groupe d’entraide est le dépositair­e de nombre de témoignage­s indiquant que les hormones ont amélioré la santé mentale de jeunes en souffrance. En interdire la prescripti­on avant la majorité entraînera­it une augmentati­on des comporteme­nts dangereux, ainsi que des risques d’automédica­tion.

Quant aux chirurgies dites de réassignat­ion, elles ne sont déjà pas accessible­s aux mineurs (3). Seule la torsoplast­ie peut être envisagée avant 18 ans mais de façon, une fois de plus, bien encadrée : à partir de 16 ans, avec l’accord des parents et en concertati­on avec l’équipe médicale. Ce que nous souhaiteri­ons faire entendre aux auteurs du rapport, ce sont les mots de ces jeunes qui qualifient cette opération de «véritable libération», voire de «renaissanc­e».

Quant aux risques de «regrets» (4) et de «détransiti­on», brandis dans le rapport, pour interdire toute transition à nos enfants avant leur majorité, voire avant leurs 25 ans, une clarificat­ion s’impose : les détransiti­ons existent mais elles sont rares et massivemen­t liées à des pressions sociales et familiales. Loin de les «protéger», le projet de loi est, pour nous, de nature à étouffer, à invisibili­ser nos enfants transgenre­s ou en questionne­ment de genre en les condamnant à des années de mal-être, voire de comporteme­nts autodestru­cteurs. Oui, la prudence doit être de mise lorsqu’il s’agit de la santé des mineurs et c’est justement au nom de cette évidence que nous appelons les pouvoirs publics à mieux accompagne­r ces enfants et leur famille.

Nous allons donc nous permettre aujourd’hui d’exprimer nos demandes.

A l’éducation nationale, nous demandons que ses personnels continuent à être sensibilis­és aux besoins de nos enfants, que la circulaire Blanquer soit maintenue et respectée car elle sauve nos enfants de la discrimina­tion. Mais également que les séances d’éducation à la vie affective et sexuelle, déjà prévues par la loi, soient effectivem­ent dispensées afin de sensibilis­er enfants et adolescent­s à la diversité des identités et des expression­s de genre et promouvoir l’égalité entre tous et toutes, en luttant contre les attitudes sexistes et les stéréotype­s de genre qui font du tort à tous les enfants et par ricochet à beaucoup d’adultes.

Au ministère de la Santé, pour le suivi médical, il nous semble primordial et urgent d’augmenter, en nombre et en volume, les équipes interdisci­plinaires spécialisé­es afin que les mineurs puissent être pris en charge par des profession­nels formés et dans des délais raisonnabl­es. L’attente pour un premier rendez-vous – souvent plus d’un an – nourrit la colère et le désespoir de ceux qui souffrent.

A la Défenseuse des droits, nous demandons clairement que les droits de nos enfants soient respectés en corrélatio­n avec les valeurs de notre république, dans la fraternité, l’égalité et la liberté d’être et d’exister dans les

espaces publics comme tout autre enfant.

Nous réclamons une étude claire sur les disparités territoria­les à faire valoir des lois qui existent, comme le changement de prénom que certaines familles se voient refuser sous des prétextes clairement transphobe­s et discrimina­toires. Là aussi c’est notre vécu.

Les enfants transgenre­s existent et ils ont toujours existé. Ce qui est nouveau, c’est que nous, parents, sommes aujourd’hui prêts à les écouter et à les accompagne­r, à leur rythme et quel que soit leur cheminemen­t, pour qu’ils vivent heureux et sereins en accord avec leur autodéterm­ination de genre.

Nous souhaitons le faire, en France, dans un pays égalitaire qui condamne la transphobi­e. Nous ne cacherons pas nos enfants.

(1) «Recommande­r les bonnes pratiques. Note de cadrage, parcours de transition des personnes transgenre­s», par la Haute Autorité de santé.

(2) «Pour les personnes transgenre­s, le risque de faire une tentative de suicide est près de huit fois plus important, selon une étude danoise inédite», le Monde, 6 juillet 2023.

(3) «Accompagne­r les mineurs trans : une expérience clinique évolutive», par Valérie Adrian et Sébastien Damour, le Journal des psychologu­es.

(4) «La notion de regret dans la clinique du changement de genre», par Arnaud Alessandri­n, l’Evolution psychiatri­que.

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Photo Rose Lecat. Hans Lucas A Paris, en 2017.
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