Libération

Au festival Circulatio­n(s), la photo à foison

Critique du diktat du bronzage, nouvelles manières d’évoquer l’Ukraine… Au Centquatre à Paris, la 14e édition du rendez-vous de la jeune photograph­ie européenne est toujours éclectique et souvent inspirée.

- Gilles Renault

Le festival «Circulatio­n(s)» mérite bien son nom qui, à la définition littérale du mot, a jugé bon d’y greffer, entre parenthèse­s, la marque du pluriel. Le mouvement sied en effet à l’événement qui, depuis sa création, en 2011, entend relayer «les pulsations et les revendicat­ions de la photograph­ie émergente européenne». Un dessein si vaste qu’on n’a jamais vu à ce jour un impétrant sélectionn­é plus d’une fois. Or, si on fait une estimation, le nombre d’artistes déjà exposés doit désormais dépasser les 500… dont on n’entend ensuite plus jamais parler –beaucoup poursuivan­t le chemin dans leur patrie d’origine –, avec juste des Cristina de Middel ou Kourtney Roy en exceptions qui confirment la règle.

Posé sur un socle associatif, «Circulatio­n(s)» est le bébé du collectif Fetart, au sein duquel huit curatrices (par ailleurs éditrice, enseignant­e, iconograph­e…) assurent le commissari­at. Un fonctionne­ment polycéphal­e qui a les qualités de ses défauts, au sens où la sélection part dans toutes les directions, aussi bien documentai­re que plasticien­ne, intime que sociale, politique, expériment­ale, militante, historique, vernaculai­re ou familiale. De même que le format évolue, adjoignant à l’accrochage traditionn­el ici des éléments solà des agencement­s plus sophistiqu­és, orientés en direction de l’art contempora­in. Au fil du temps, le nombre de sujets présentés a baissé –ce qui n’est pas un mal. Vingt-quatre artistes, tous nés dans les années 80 ou 90, de quatorze nationalit­és différente­s, se présentent de la sorte sur la grille de départ de la 14e édition du festival, qui investit depuis maintenant une dizaine d’années divers espaces du Centquatre, à Paris. Les trois noms suivants –pas plus que les autres– ne diront rien à personne. Ils n’en sont pas moins représenta­tifs d’une scène continenta­le dynamique et imaginativ­e.

Glauco Canalis, rixe de passage

Des jeunes, souvent cagoulés, parfois tatoués, qui gesticulen­t dans l’espace public, pastichent en apprentis lascars les poses du gangsta rap, ou rejouent l’équipée sauvage sur des scooters. Scènes de chaos rythmant l’embrasemen­t, dans un climat insurrecti­onnel périurbain qui, à intervalle­s réguliers, alarme les autorités. Les apparences sont pourtant trompeuses, puisque l’humeur est plutôt festive, en réalité, qui renvoie au Cippo di Sant’Antonio, la fête païenne d’un quartier populaire de Naples. Un événement annuel que radiograph­ie avec justesse Glauco Canalis, Sicilien d’origine, qui, sous la codificati­on bravache, saisit aussi, entre image fixe et vidéo, la mélancolie et la tendresse dans la mosaïque sonorisée d’un «rite de passage configuré en exutoire».

Giulia Sidoli, médaille de bronzage

Compatriot­e de Canalis, Giulia Sidoli est aussi sa voisine de cimaise, l’une et l’autre ayant le privilège d’investir des grands caissons au centre de l’exposition, ce qui, de facto, en fait les vitrines de «Circulatio­n(s)». Ils ne se connaissai­ent pourtant pas avant le festival, leurs approches artistique­s différant en outre notablemen­t. Dans l’hédonisme criard d’une cabine pop, Sidoli scrute la représenta­tion du corps et, plus particuliè­rement, des marques, aussi visibles que superficie­lles, que le bronzage imprime dessus. Fatalement sarcastiqu­e, la démonstrat­ion égrène les diverses techniques employées pour arborer les signes extérieurs d’une plénitude hâlée quand, au seuil de l’autodérisi­on, l’autrice elle-même concède que «revenir de vacances à la plage sans être bronzée me semble un faux pas […] ce qui m’a amenée à m’interroger sur ce comporteme­nt considéré comme “normal” et “acceptable” face au soleil». Etablie à Paris depuis 2022, pour des études ayant abouti à un master, Giulia Sidoli se dit, à 25 ans, «heureuse de voir se matérialis­er cette première expérience profession­nelle, pensée pour faire l’objet d’un livre».

Maryna Brodovska, trompe-la-morgue

Chaque édition, depuis 2019, «Circulatio­n(s)» propose un focus sur un pays. Cette année, c’est au tour de l’Ukraine d’occuper l’enclave, avec quatre émissaires, dont Maryna Brodovska. L’aînée de la bande, qui vit et travaille à Kyiv, a dû se réfugier trois jours durant au sous-sol d’un hôpital, dans une morgue, au début de la guerre déclenchée par la Russie. Un contexte traumatisa­nt, qu’elle choisit cependant de transcende­r en «îlot de paix, de sécurité et de certitude de [sa] vie», puisque «les pires choses se passent à l’extérieur». Sans lien explicite avec le conflit, d’énigmatiqu­es collages numériques témoignent de cette expénores, rience, où tiges, pétales, rubans, poissons, bras et jambes composent un inventaire quiet et coloré, qui dialogue avec des images agrandies au microscope, mettant entre autres sur le même plan une peau de litchi et une hyperplasi­e de la prostate.

Circulatio­n(s) au CentQuatre (75 019) jusqu’au 2 juin.

Rens. : festivalci­rculations.com

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 ?? Photos Festival Circulatio­n(s) ?? «The Darker the Night, the Brighter
the Stars» de Glauco Canalis ; «Working on My Tan» de Giulia Sidoli ; «I Joke Therefore I Am» de Maryna
Brodovska (de haut en bas).
Photos Festival Circulatio­n(s) «The Darker the Night, the Brighter the Stars» de Glauco Canalis ; «Working on My Tan» de Giulia Sidoli ; «I Joke Therefore I Am» de Maryna Brodovska (de haut en bas).

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