Libération

«Näss», contes et les gens

Enorme succès depuis sa création en 2018, l’énergique pièce chorégraph­ique du Franco-Marocain Fouad Boussouf arrive à la Scala à Paris.

- Laurent Goumarre

Ouvrir un spectacle dos au public, face au mur fond de scène, c’est poser la question : quand, comment et pourquoi se retourner ? C’est tout l’enjeu de Näss la pièce chorégraph­ique de Fouad Boussouf, énorme succès depuis sa création en 2018, qui n’arrête pas de tourner, vue dernièreme­nt au festival «la Beauté du geste» au Louvre-Lens, et qui arrive à la Scala à Paris. Se retourner ou pas, telle est la question pour les sept danseurs, d’abord sculptés de dos, qui prennent leur temps, se baissent lentement, déposent et remettent la veste, avancent doucement vers nous toujours de dos, à reculons ; ils finiront bien par exposer leur visage, nous montrer qui ils sont, pour ce face-à-face qu’on attend. Ça peut paraître anecdotiqu­e, c’est formidable­ment intelligen­t : être face au mur ou lui tourner le dos, pas besoin d’en dire plus pour mesurer l’énergie politique d’une chorégraph­ie rythmée-hantée par les chansons de Nass El Ghiwane, groupe contestata­ire des années 70, écho au malaise de la jeunesse marocaine, initiateur de l’émergence du rap marocain.

Confrérie.

Quels souvenirs peut en avoir Fouad Boussouf, né en 1976 dans un petit village près de Moulay Driss, «la Mecque du pauvre», qui arrive en France en 1984 alors qu’il a 7 ans ? Certaineme­nt diffus, mais il en a gardé quelque chose en mémoire, qu’il réactive ici avec cette confrérie de sept hommes, qui dansent ensemble, pas encore à l’unisson, chacun a son rythme, selon sa gestuelle. Ce qu’ils ont en commun ? Un pied qui se lève, alors le corps est en équilibre sur une jambe, et hop pirouette, chacun se retourne, c’est l’événement face public. Näss, le titre, signifie «les gens» en arabe, et ce sont bien eux que l’on voit sur le plateau : des gens en tee-shirt pieds nus qui sont jeunes hommes, d’autres mûrs au corps plus lourd. Des gens qui ne sont pas des femmes ? Ce n’est pas le sujet ici de Fouad Boussouf, qui en 2020 retrouvera le féminin avec Oüm, hommage à la voix d’Oum Kalthoum qui a bercé son enfance. Les Gens, ce sont sept danseurs embarqués maintenant dans une danse frénétique. Les mains se tiennent le crâne, se portent sur les yeux, les corps forment une ligne qui coupe le plateau, le visage de profil tourné à cour. Les bras se lèvent, se tendent, les mains appellent en un geste qui raconte à la fois la prière et la supplicati­on.

Initiation.

Rien n’est univoque dans cette chorégraph­ie aux postures énigmatiqu­es : on tire le tee-shirt devant soi, on finit par s’en recouvrir la tête, le visage une fois de plus dérobé à nos yeux, et encore les bras levés. C’est une arrestatio­n ? Une épreuve d’initiation ? Fouad Boussouf ne relève pas, il faut continuer à danser : des affronteme­nts à deux qui tournent à l’accolade, des chasses à l’homme qui virent au battle acrobatiqu­e de virtuosité hip-hop. Enfin, reste le retour de la question initiale : quand on s’est présenté de dos au public, comment finit-on la pièce? Réponse: face au mur. Mais après une heure de spectacle, le sens a changé; ces gens ne nous tournent plus le dos, ils nous demandent de les suivre.

Näss (les gens) de Fouad Boussouf à La Scala à Paris (75 010) du 23 au 28 avril.

 ?? Charlotte Audureau
Photo ?? Les Gens, ce sont sept danseurs embarqués dans une danse frénétique.
Charlotte Audureau Photo Les Gens, ce sont sept danseurs embarqués dans une danse frénétique.

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