Libération

Négoce féroce

Spécialist­e des questions d’éducation, le député insoumis, issu de la garde rapprochée de Mélenchon, sait se montrer intraitabl­e en pourparler­s.

- Par Charlotte Belaïch Photo Cyril ZANNETTACC­I. VU

C’est un petit-déjeuner «hors du temps» qui se déroule ce 10 avril 2022, près du Vieux-Port de Marseille. Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompard et Paul Vannier respirent l’air de la Méditerran­ée. «C’était une bulle, une parenthèse très calme, très sereine, raconte le dernier, devenu député LFI du Val-d’Oise. C’était un moment de maîtrise, on pouvait constater le résultat de mois, d’années de travail. On avait une sorte de sentiment de travail bien fait.» Toute la journée, les insoumis s’accrochero­nt à l’espoir de gagner. «Entre 20 heures et 22 heures, on passe de 20 % à 22 %. Jusqu’au bout, on recalcule et on pense que c’est possible.» Deux ans plus tard, l’élu se souvient ému de ces heures passées au côté du leader insoumis, du lever du jour à la nuit tombée, dans le premier cercle. «C’est une journée marquante. Etre avec Jean-Luc Mélenchon à ce moment si paroxystiq­ue, c’est une grande chance, et une occasion d’apprendre.»

Paul Vannier est un lieutenant insoumis, prototype du militant appliqué, dévoué, dur s’il le faut, jusque dans la posture, bien droite. Le style, sans fioritures, a pour seule marque distinctiv­e le petit triangle rouge que Mélenchon épingle aussi sur ses vestes, symbole de résistance aux idées d’extrême droite. «Lieutenant, c’est une expression bizarre parce que s’il y a une chose que j’ai apprise avec Jean-Luc Mélenchon, c’est la liberté. Bien sûr qu’on est des gens discipliné­s, groupés, et on considère que ça fait partie de notre force, mais Jean-Luc n’est pas du tout un esprit dogmatique.» Lorsque le trentenair­e, qui vit à Paris, a pris la tête du groupe insoumis au conseil régional d’Ile-de-France, en 2021, l’ancien socialiste l’a invité à l’imiter : «Je sais entrer dans une réunion en me disant que je vais changer d’avis.» Assis à la terrasse d’un café près de l’Assemblée, Paul Vannier insiste : «C’est consenti tout ça, il n’y a pas de contrainte. On fonctionne par adhésion.»

Le jeune homme grandit dans le Val-deMarne, dans une famille où la politique est déjà là. Sa mère enseigne la musique dans des écoles primaires, son père est ouvrier à EDF, syndicalis­te à FO et militant lambertist­e, un courant trotskiste dans lequel Jean-Luc Mélenchon lui-même s’est formé. «C’est son engagement à lui. Le mien est différent. Ma culture, c’est le mélenchoni­sme», appuie-t-il. Comme tant d’autres insoumis, il raconte son hostilité pour un Parti socialiste déjà entaché par la trahison, avant même les années Hollande. Et puis un jour, la voix de Mélenchon. Paul Vannier a 23 ans, le socialiste 57, et s’apprête à quitter le parti dans lequel il milite depuis trois décennies. Jeune prof d’histoire géo en Seine-et-Marne, Vannier adhère au Parti de gauche dès sa création, en 2008. «C’est Mélenchon qui fait que je m’engage et tout mon parcours est un parcours en mélenchoni­e, dit-il avec fierté. Surtout, c’est un parcours qui va permettre, étape par étape, de rencontrer Mélenchon, d’avoir des débats et des discussion­s avec lui, d’être formé par lui. J’ai une chance énorme d’avoir croisé un personnage de cette envergure, il y en a peu.»

Avec lui, il a appris l’essentiel : l’agenda. «La politique, c’est des fichiers et des calendrier­s», a répété l’ancien sénateur à des génération­s de militants. «En le regardant faire, j’ai vu comment il utilisait le temps, raconte Vannier. Il sait rythmer une campagne en séquence. En le voyant façonner le temps, j’ai compris qu’on pouvait construire des situations, créer des points de bascule, et pas seulement s’adapter aux circonstan­ces.» Dans le monde insoumis, on parle parfois plus de stratégie que d’idées. On sait muer, passant du populisme à l’union de la gauche, d’un culte voué à l’universali­sme républicai­n à l’ouverture aux revendicat­ions identitair­es. «La stratégie, c’est essentiel si on veut gagner», revendique Paul Vannier.

Le député était au coeur du réacteur lorsque les insoumis, du haut de leurs 22 % à la présidenti­elle, ont décidé de sceller un accord législatif avec le reste de la gauche. Responsabl­e des élections pour le mouvement, il a passé des jours enfermé à négocier devant les listes de circonscri­ptions à répartir.

«On avait le sentiment de faire quelque chose de très grand, raconte-t-il. On s’est retrouvés en responsabi­lité, c’est nous qui réunission­s autour de nous, parce qu’on voulait gagner.» C’est là, au siège insoumis, entre les affiches «Mélenchon Premier ministre», que la petite légende de Paul Vannier s’est construite. Celle d’un dur, pas du genre à sourire ou à mettre une tape dans le dos. Si la vie politique était une fiction, le méchant, ce serait lui. «Si vous êtes dans le collimateu­r de Paul Vannier, c’est terminé…» raconte un ancien de La France insoumise. «C’est un vrai dur, sur le fond et sur la forme, affirme le socialiste Pierre Jouvet, qui a négocié avec lui. Il a un côté militant, déterminé, acharné. C’était avec lui que c’était le plus violent pendant les négociatio­ns. C’est un vrai violent politiquem­ent, froid, brutal, cassant, méthodique. Il ne cherche jamais le compromis et fait du rapport de force une vertu politique centrale. Mais c’est aussi son job. De la même manière que Manon Aubry est la fille sympa, il est dans son rôle.»

Pendant les négociatio­ns, une partie de lui se détachait parfois pour s’observer. Il se faisait alors sourire, en train de faire des bras de fer avec ses partenaire­s. «Je ne suis pas là pour être sympa, assume-t-il. Les soirées de la Nupes, c’était pas des soirées entre potes. Je suis là pour être efficace et défendre des positions politiques. C’est vrai que je ne suis pas du genre à arrondir les angles, je pense que c’est ma personnali­té. Je vais au bout de ce que je pense devoir être fait.»

Paul Vannier n’a pas toujours été si proche du soleil. En 2018, un groupe de cadres insoumis s’interroge sur la stratégie du mouvement. Il y a là Charlotte Girard, François Coq, Georges Kuzmanovic ou encore Hélène Franco, tous disparus des organigram­mes depuis. Seul reste Paul Vannier. «Il s’est très vite remis dans le giron de Mélenchon, mais il n’était pas du tout en odeur de sainteté», raconte un ancien. «La question de partir ne s’est jamais posée pour moi, assure-t-il aujourd’hui. J’avais une frustratio­n personnell­e. J’aurais voulu être candidat aux européenne­s et j’ai eu du mal à digérer. C’est une épreuve. Mais j’avais le sentiment qu’on pouvait y arriver, qu’on pouvait gagner, et c’est ça qui l’emporte à la fin.»

En 2020, Jean-Luc Mélenchon lui propose de rejoindre son cabinet à l’Assemblée. Deux ans plus tard, il sera lui-même élu député. Celui qui a rédigé le livret éducation du programme insoumis travaille encore sur le sujet. Début avril, il a publié un rapport sur le financemen­t public des établissem­ents privés, dénonçant un système opaque et proposant une modulation de la contributi­on de l’Etat en fonction de la mixité sociale. Quand on l’interroge sur ses passions, il hausse les épaules : les seules heures qu’il ne consacre pas à la politique sont celles qu’il passe en famille; il est pacsé et père d’une fille de 1 an. «Je ne fais que de la politique. C’est un moment très particulie­r dans une vie, il faut savoir en profiter, c’est aussi une chance.»

1985 Naissance à Vitry-sur-Seine. 2008 Rejoint le Parti de gauche. 2022 Député LFI du Val-d’Oise.

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