Libération

A Washington, l’espoir d’un vote positif pour l’aide à l’Ukraine

Des tractation­s compliquée­s pourraient permettre le vote ce week-end du Congrès américain en faveur d’un soutien massif de 61 milliards de dollars à Kyiv, qui en a désespérém­ent besoin.

- PhiliPPe CoSte

Loin du front du Donbass, une autre bataille s’éternise au Congrès américain, dont l’issue pourrait bien décider du sort de l’Ukraine, et de la crédibilit­é des Etats-Unis. Elle oppose les membres de la mince majorité républicai­ne à la Chambre des représenta­nts, pour les deux tiers opposés à une aide militaire à Kyiv, un président républicai­n de la chambre, le speaker Mike Johnson, en butte aux attaques des extrémiste­s de son propre parti hostiles à tout compromis, une aile gauche démocrate furieuse du soutien inconditio­nnel accordé à un autre allié, Israël, dans sa guerre à Gaza, et bien sûr, le candidat Donald Trump, qui prêche le retrait isolationn­iste auprès d’une opinion déboussolé­e par la désinforma­tion et de plus en plus lasse des engagement­s internatio­naux des Etats -Unis.

Saucissonn­er. Joe Biden, sans illusions, a tenté en février dernier de trancher ce noeud gordien en soutenant un projet de loi de financemen­t militaire de 95 milliards de dollars (90 milliards d’euros) à l’Ukraine et à Israël. Votée facilement par le Sénat, avec l’appui de 22 républicai­ns, cette aide conjointe a provoqué un tollé dans les rangs républicai­ns de la Chambre et n’a même pas été présentée au vote par Mike Johnson, lui-même menacé des foudres de l’extrême droite de son parti dans l’hémicycle. Après sa rencontre à la Maison Blanche du même Johnson avec Joe Biden, le 27 février, le pèlerinage contrit de Mike Johnson chez Donald Trump, à Mar a Lago, le 12 avril, semble pourtant avoir débouché sur une propositio­n alternativ­e, qui pourrait être votée ce week-end. Le speaker offre de saucissonn­er cette enveloppe globale de 95,3 milliards en trois projets de loi distincts, apportant pour l’un 61 milliards de dollars (57 milliards d’euros) d’aide à l’Ukraine, dont plus du quart servira à reconstitu­er les stocks d’armes américains ; pour l’autre 26 milliards de dollars d’aide à Israël, dont 9 milliards destinés à l’aide humanitair­e à Gaza. Huit milliards sont prévus pour soutenir les pays alliés de la zone indopacifi­que face aux pressions croissante­s de la Chine dans la région. Pour la forme, en guise de concession aux durs du parti, et en particulie­r à Donald Trump, qui affiche son hostilité à l’aide internatio­nale dans tous ses meetings de campagne, les fonds sont distribués sous forme de prêts dont le remboursem­ent pourrait être annulé par le gouverneme­nt américain.

Coup de théâtre. Sur CNN, qui demande à Johnson pourquoi cette option, certes alambiquée, n’a pas été proposée plus tôt, alors que le président ukrainien Volodymyr Zelensky supplie le Congrès depuis des mois, le speaker a répondu : «Il faut du temps pour établir des contacts, et trouver un consensus. Surtout quand on dispose de la plus faible majorité de notre histoire.» Cette majorité de moins d’une dizaine de sièges donne un pouvoir démesuré à la frange extrémiste républicai­ne du Freedom Caucus, guidée directemen­t par les harangues de Donald Trump et réticente à accorder l’aide à l’Ukraine. Johnson, aussi conservate­ur soit-il, doit se résoudre à solliciter l’appui des démocrates pour ce triple plan, quitte à envenimer encore ses relations avec l’ultra-droite qui menace de lui infliger un vote de destitutio­n de son poste de leader de la majorité. De plus, le déblocage en cours s’explique non pas par les avancées russes dans le Donbass, mais par les rebondisse­ments au MoyenOrien­t. La nuée de drones lancée par l’Iran samedi dernier a rendu plus urgent que jamais le vote par les républicai­ns de l’aide à Israël, seul allié digne de soutien pour la droite, jusqu’alors gelé par les pro-Trump en raison de son couplage avec le soutien à l’Ukraine. Joe Biden, de son côté, qui exigeait jusqu’alors un vote conjoint pour les deux aides, a donné son accord de principe, mercredi 17 avril, pour ce vote en tranches, en espérant calmer les réticences démocrates. Ces élus, surtout depuis la mort de sept travailleu­rs humanitair­es à Gaza en mars, s’inquiètent de la fureur des jeunes électeurs, et des électeurs d’origine arabe du Michigan, un swing state décisif pour la présidenti­elle de novembre, contre la mansuétude de la Maison Blanche à l’égard de Nétanyahou. Pour éviter un nouveau coup de théâtre des républicai­ns, qui exigeaient un couplage de l’aide à l’Ukraine avec un plan interne et national de lutte contre l’immigratio­n clandestin­e, décrit comme le défi primordial à la nation, Johnson propose un texte séparé prévoyant le renforceme­nt des contrôles, voire la fermeture de la frontière avec le Mexique, que seuls les républicai­ns pourraient voter. Aussi distincts soient-ils, ces multiples projets s’entremêlen­t dans les tractation­s en coulisses dans un Congres livré au chaos. Complicati­on supplément­aire : les textes seront regroupés après leurs votes éventuels pour obtenir l’acquiescem­ent du Sénat, doté d’une infime majorité démocrate. Un nouveau blocage serait alors possible. Quant à Johnson, honni par la droite de son parti pour avoir seulement pactisé avec les démocrates pour la reconducti­on des dépenses de l’Etat, afin d’éviter la fermeture du gouverneme­nt des Etats-Unis en début d’année, il est encore à la merci d’une insurrecti­on dans son camp ce week-end. D’autant que pour aider l’Ukraine, en sauvant l’honneur du Congrès et des Etats-Unis, ce Trumpien convaincu a plus que jamais besoin de résoudre l’impasse politique et de solliciter l’aide des démocrates pour sauver sa tête.

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PhoTo ChArly TribAlleAu. AFP Dans une usine de munitions destinées à l’Ukraine, en Pennsylvan­ie mercredi.

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