Libération

La dangereuse banalisati­on du bannisseme­nt

- Par Thomas Legrand Chroniqueu­r politique

L’interdicti­on du meeting de Jean-Luc Mélenchon à l’université de Lille mercredi, suivie de l’interdicti­on jeudi du meeting de remplaceme­nt prévu par les insoumis dans une salle privée, est un scandale liberticid­e. Non, ceci n’est pas un édito de journalope gauchiasse islamogauc­histe mais bien un billet libéral. L’interdicti­on d’événements ou la dissolutio­n d’associatio­ns sont devenues une habitude, une revendicat­ion de haineux autoritair­es qui se plient à la pression médiatique des chaînes bollorisée­s et bien au-delà, une manie prise par de nombreux acteurs (politiques ou commentate­urs) de la grande conversati­on nationale. Pour lutter contre les extrêmes, les «raisonnabl­es», les autoprocla­més membres du «cercle républicai­n» utilisent des procédés rhétorique­s d’abord, coercitifs ensuite, de ce qu’ils sont censés combattre : l’extrémisme.

Ils s’insurgent contre la «polarisati­on des débats», cependant ils créent un troisième pôle autoritair­e, certes, sur des positions idéologiqu­es sensément plus modérées mais en réalité, puisqu’ils ont en main les manches du pouvoir, presque tout aussi dangereuse­s pour les libertés. Il ne s’agit pas d’encombrer ce billet de LA citation de Voltaire mais de rappeler l’esprit de ce que Léon Blum appelait «l’une des rares lois républicai­nes de la République», la loi de 1881 sur la liberté de la presse et par extension la liberté d’expression. L’interdicti­on d’un meeting doit être le résultat exceptionn­el et rare, surtout s’agissant d’une réunion organisée par un parti ayant pignon sur rue, représenté à l’Assemblée nationale, d’un risque grave de trouble à l’ordre public. La présidence de l’université de Lille puis le préfet ont donc considéré que trouble à l’ordre public il y aurait : «Les conditions ne sont pas réunies pour garantir la sérénité des débats.» D’où vient le risque de violence pointé par les autorités ? De ceux qui devaient venir assister à la réunion ou de ceux qui voulaient qu’elle n’ait pas lieu ? Un autre motif d’interdicti­on eut été que le caractère antisémite de la réunion ne fasse aucun doute. Mais l’antisémiti­sme est puni par la loi et les positions de LFI, aussi critiquabl­es soient-elles, ne relèvent pas de l’antisémiti­sme et n’ont jamais été condamnées pour cela. L’antisionis­me, souvent cache-sexe de l’antisémiti­sme, ne l’est pas, jusqu’à

nd preuve du contraire, s’agissant des membres du parti de JeanLuc Mélenchon. La position propalesti­nienne des insoumis, dans la tradition jamais contestée de la gauche radicale ou du Parti communiste, ne nie pas non plus (même avec la carte qui a déclenché le scandale) l’existence d’Israël. La position officielle du parti varie entre la solution à deux Etats, et le pays unique, fédéral ou républicai­n, composé des deux communauté­s. On peut regretter que JeanLuc Mélenchon ait fracturé la gauche en refusant de qualifier l’attaque du 7 Octobre d’acte «terroriste», on peut accuser les amis de Jean-Luc Mélenchon de faire du clientélis­me communauta­ire avec l’imagerie verte, rouge, noire et blanche du drapeau palestinie­n pour s’attirer le vote des quartiers peuplés en majorité par des musulmans, comme d’autres élus, dans d’autres villes, peuplées de nombreux Juifs, font de même en adoptant un soutien sans faille à Benyamin Nétanyahou. Ce sont des débats politiques avec leur procès d’intentions, leurs petites stratégies ou leurs réalités… Mais que ces débats poussent un président d’université, puis un préfet, à l’interdicti­on d’une réunion publique, voilà qui signe bien la banalisati­on du bannisseme­nt. L’interdicti­on du meeting de Lille se situe dans la lignée pathétique­ment antilibéra­le (au sens tocquevill­ien des libertés politiques) des interdicti­ons «systématiq­ues» (heureuseme­nt supprimées par le Conseil d’Etat), des manifestat­ions propalesti­niennes d’octobre, mais aussi de la dissolutio­n (heureuseme­nt supprimée par le Conseil d’Etat) des Soulèvemen­ts de la Terre et de l’interdicti­on (heureuseme­nt supprimée par le Conseil d’Etat) d’un colloque de l’Action française en mai 2023. L’approbatio­n enthousias­te de bien des membres de la majorité après chaque interdit, puis le rappel salutaire de la justice administra­tive, là où elle est compétente, dit plus de la crise qui sévit chez les libéraux que de la dérive des extrêmes.

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PHoto StéPHane DubromeL. HanS LucaS Jean-Luc Mélenchon en meeting à Roubaix, mercredi.

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