Sur la justice des mineurs, l’effet du neuf avec du vieux
Se disant notamment prêt à «ouvrir le débat sur l’excuse de minorité», Gabriel Attal recycle de nombreuses mesures alors que la justice manque de moyens et d’outils pour les faire appliquer.
Place Vendôme, le 14 février. Face à une foule de mines graves, Emmanuel Macron rend hommage à Robert Badinter décédé cinq jours plus tôt et fait «le serment d’être fidèle à son enseignement». Gabriel Attal, Premier ministre depuis quelques semaines, l’écoute au premier rang. Deux mois plus tard, c’est lui qui s’est exprimé, jeudi à ViryChâtillon (Essonne), où Shemseddine, 15 ans, a perdu la vie au début du mois après avoir été passé à tabac près de son collège. «Une partie de nos adolescents glisse, lentement, vers une forme d’isolement, d’individualisme et parfois même vers le pire, une forme de violence déchaînée, morbide, sans règle», a lancé le chef du gouvernement.
Et de proposer, dans la foulée, «d’ouvrir le débat à l’atténuation de l’excuse de minorité», ce principe fondamental qui fait qu’un mineur est sanctionné moins sévèrement qu’un majeur, mais attention, «dans le respect vigilant de nos principes constitutionnels». Le recyclage d’une revendication de la droite et de l’extrême droite ainsi qu’une répudiation de l’allégeance prêtée à Badinter au lendemain de sa mort, lui qui n’a cessé, tout au long de sa carrière d’avocat, de répéter que la justice des mineurs devait «demeurer une justice à part».
«Simpliste». Las. Les émeutes de juillet, l’agression violente de Samara, 13 ans, devant son collège de Montpellier, la mort d’un jeune de 15 ans d’un coup de couteau à Romans-surIsère et celle de Shemseddine ont fini de convaincre le gouvernement d’agir contre «cette spirale, ce déferlement, cette addiction d’une partie de nos adolescents à la violence», selon les mots d’Attal. En guise de principale réponse à cette succession d’évènements tragiques : le levier répressif. «Le Premier ministre a une vision simpliste et réductrice de l’autorité, regrette Sarah Pibarot, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature. Il axe son action sur la répression des enfants et de leurs parents mais parle très peu de prévention, d’accompagnement. A notre sens, l’autorité se construit sur la capacité à se faire écouter, respecter et sur la crédibilité des institutions.» La plupart des mesures égrainées par Gabriel Attal ne sont pas nouvelles. La «responsabilisation des parents démissionnaires», dont les enfants commettent des actes de délinquance, est au coeur du projet de loi porté par le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, dans les tuyaux depuis plusieurs mois. En clair : le gouvernement souhaite «réprimer plus largement et plus sévèrement les manquements des parents à leurs obligations» et créer une nouvelle peine de travail d’intérêt général. Dans ce projet de loi en partie révélé par l’Opinion, le garde des Sceaux propose de sanctionner le père ou la mère se soustrayant à ses obligations légales de trois ans d’emprisonnement (deux prévus aujourd’hui), et 45 000 euros d’amende (contre 30 000). «Le dispositif légal actuel est suffisant. Le renforcement des sanctions n’est qu’un effet d’annonces, déplore Arnaud de Saint-Rémy, au Conseil national des barreaux. On imagine que les parents seront plus attentifs en risquant un an de prison de plus ou des travaux d’intérêt général ?» La loi permet par ailleurs aux juges de prononcer «des stages de responsabilités parentales. […] Imposer aux parents défaillants de suivre à leurs frais ces formations permet de les responsabiliser, cela a plus de sens et c’est pour cela que les juges ne manquent pas d’en prononcer».
Ressortie du chapeau elle aussi, la mise en place de «comparutions immédiates», pour juger rapidement les mineurs de plus de 16 ans. «Quelle que soit la gravité des faits qu’ils ont commis, on ne peut pas juger un mineur comme un majeur, martèle Arnaud de SaintRémy.
Un mineur qui a commis une infraction est un mineur qu’il faut prioritairement éduquer.» Surtout, la proposition a déjà été «largement débattue» et abandonnée lors de la réforme de la justice pénale des mineurs, sous le premier quinquennat Macron. La procédure prévoit, depuis 2021, un jugement en deux temps, sur la culpabilité puis sur la peine, dans un délai maximum de douze mois pendant lesquels sont mises en place des mesures d’accompagnement éducatives.
Manques. «Nous avons peu de recul sur ce code de la justice pénale des mineurs, alerte Sarah Pibarot. Comment envisager de changer à nouveau la procédure alors que nous n’avons pas fait le bilan de ce qui existe aujourd’hui ?» Et comment envisager de changer à nouveau la loi, quand on manque déjà de moyens pour appliquer les outils qui existent ? «On manque de tout, d’éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, de foyers, de projets de rupture pour les jeunes concernés», alerte Elisabeth Audouard, du Syndicat des avocats de France. Des moyens éducatifs auraient plus d’effets bénéfiques sur la recrudescence de ces violences «qu’il ne s’agit pas de nier». Mais probablement moins sur l’opinion publique alors que le RN caracole en tête des sondages, à deux mois des européennes.