Le Wegovy, traitement «magique» surveillé de près
Près de 10 000 Français obèses sévères ont un accès précoce au stylo injecteur, dont l’efficacité est source d’espoir. Mais les négociations sur son autorisation s’éternisent et la gravité des effets secondaires interroge.
«Avant, j’avais peur du regard des autres sur mon corps, peur de sortir de chez moi. J’étais essoufflée au bout de dix mètres. Aujourd’hui, tout a changé. J’ai même recommencé à me baigner !» Pour Natacha, 33 ans, le chemin a été long. Parsemé de chiffres croissants sur la balance, de rééquilibrages alimentaires infructueux et d’espoirs gâchés, il a fini par bifurquer il y a un an et demi : Natacha a enfin «perdu» depuis sa prise de poids dix ans plus tôt –30 kilos de moins, pour arriver à 114. Ce «miracle», elle le doit à une piqûre au ventre, son rituel du samedi : le Wegovy.
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Pas vraiment une «baguette magique», plutôt l’action du sémaglutide, une molécule capable de mimer l’action du GLP-1, l’une des principales hormones digestives. «Quand on mange, des hormones sont sécrétées au niveau du tube digestif : elles permettent de stimuler la sécrétion d’insuline et de signaler au cerveau qu’on a mangé, et donc qu’on est à satiété», détaille Martine Laville, professeure de nutrition et autrice d’un récent rapport remis au gouvernement sur la prise en charge de l’obésité. C’est pour son action sur l’insuline que cette molécule a d’abord été développée par les laboratoires, dans des traitements antidiabétiques. Mais son effet amaigrissant l’a vite rendue célèbre.
«J’y trouve du plaisir»
Selon les essais cliniques, le Wegovy, issu du laboratoire danois Novo Nordisk, entraîne une perte de poids de 15 % en moyenne, pour des effets secondaires limités. La sphère médicale s’agite aussi : on parle de «révolution» dans l’arsenal thérapeutique contre l’obésité, qui touche plus d’un milliard de personnes dans le monde. Même s’il reste prudent, Jean-Michel Lecerf, de l’Institut Pasteur à Lille, reconnaît «un bel espoir» : «L’obésité est une maladie irréversible, des résistances à l’amaigrissement s’installent. Pendant des années, nous, médecins, ne pouvions rien pour certains patients.» L’emballement va même au-delà de la perte de poids : le Wegovy réduirait aussi les risques cardiovasculaires, selon un essai clinique publié dans le prestigieux New England Journal of Medecine. Et on ne compte plus le nombre de recherches qui évaluent d’autres vertus – contre les maladies neurodégénératives, l’apnée du sommeil… «Il vaut mieux se méfier de tous les bénéfices attribués à un seul médicament, qui le rendraient plus lucratif pour les laboratoires», tempère Mahmoud Zureik, président d’Epi-Phare, structure de pharmaco-épidémiologie de l’assurance maladie et de l’Agence française du médicament (ANSM). En France, où 17% des adultes sont atteints d’obésité, le Wegovy a reçu une autorisation de mise sur le marché en janvier 2022. Mais les négociations entre autorités sanitaires et laboratoire traînent, en particulier pour fixer son prix et les conditions de remboursement. Près de 10 000 patients, en obésité sévère avec comorbidités, bénéficient d’un accès précoce depuis juillet 2022. Comme Natacha, Arnaud en fait partie : il préfère un médicament à la chirurgie bariatrique, «trop définitive». De mémoire, l’infirmier de 44 ans a toujours «été rond». Chaque année, il prenait un peu, même s’il «a toujours été actif» : la quarantaine passée, il a atteint 125 kilos. Il les met sur le compte de ses «gros coups de fourchettes», et son besoin de «ne pas gâcher». Le Wegovy a changé ses repas. «Je m’écoute quand je n’ai plus faim, et j’y trouve du plaisir. Le gras me fait moins envie.» Résultat, en huit mois : 19 kilos perdus, du souffle retrouvé et plus de liberté dans ses mouvements. Pourtant, à chaque piqûre, la peur d’effets secondaires revient –d’intenses douleurs abdominales, surtout au début du traitement. Et puis, il en convient, il est dépendant du médicament, à prendre à vie. Car le poids remonte dès que le traitement est interrompu. «Il améliore la maladie, qui ne se résume pas au poids, mais ne la guérit pas ni ne la prévient, pointe Jean-Michel Lecerf. Ces traitements ne remplacent pas l’accompagnement en nutrition, l’activité physique, la psychologie…»
Par ailleurs, les effets divergent entre les patients : certains ne répondent pas au traitement, d’autres ne le supportent plus. «Il y a deux types d’effets indésirables, souligne Jean-Luc Faillie, responsable du suivi national de pharmacovigilance de ces molécules. Il y a les fréquents non graves, gastro-intestinaux –nausées, vomissements, douleurs abdominales… – et des effets graves mais rares, comme des occlusions intestinales, des calculs biliaires ou des inflammations du pancréas.» D’autres risques potentiels sont encore à l’étude. Mais le rapport bénéfices-risques pour les personnes en obésité reste à ce stade favorable, assure-t-il, comme le confirme l’autorisation de mise sur le marché de l’ANSM.
«Je vais re-grossir»
Marie (1), en tout cas, hésite sérieusement à abandonner son stylo injecteur. Elle a commencé à ressentir des effets secondaires au fil de l’augmentation des doses. Elle croyait son corps habitué, mais ses douleurs au ventre ont recommencé. «Elles sont constantes. Ce midi, je n’ai pu avaler que quelques cuillères de riz et la moitié d’un yaourt.» Elle est ravie, pourtant, des 10 kilos perdus en trois mois, alors que ses problèmes de thyroïde lui en avaient fait prendre 40. Depuis, elle se maquille et sort à nouveau, se rapproche de la PMA pour laquelle les médecins lui avaient intimé de perdre du poids. «Maigrir, je le veux par-dessus tout. Mais supporter ces douleurs au quotidien, je n’y arriverai pas.» Elle n’est pas la seule. «Environ un patient sur dix abandonne à cause de ces effets trop intenses», atteste Jean-Luc Faillie. Cette proportion se retrouve dans l’étude d’EpiPhare, publiée le 19 mars – la première sur le suivi des patients en accès précoce. 17 % ont arrêté leur traitement. «Le profil socio-économique défavorisé qui se dégage plaide pour des raisons pas seulement liées à l’inefficacité et les effets secondaires, nuance l’épidémiologiste Mahmoud Zureik. Comme dans d’autres traitements chroniques, le milieu social joue [sur la poursuite du traitement].» Emma (1) ne veut surtout pas arrêter son médicament «magique». Ses crises de boulimie ont presque disparu. Elle s’autorise enfin ce verre de soda qu’elle avait proscrit, les repas entre copines qu’elle évitait par peur d’un «écart».
Mais la suite s’annonce plus incertaine : l’accès précoce a été suspendu en septembre, à la demande de Novo Nordisk. La continuité des traitements est garantie jusqu’à octobre. Sans date fixée pour la mise sur le marché, l’angoisse d’être privés de médicament grandit parmi les patients. Quand elle y pense, Emma sent sa gorge se serrer : «Si j’arrête, je vais re-grossir, et je ne pourrai plus rien m’autoriser.» En attendant, elle est suspendue aux nouvelles informations. Dépendante du bras de fer entre le laboratoire et les autorités sanitaires françaises.