Libération

Sur ordonnance ou dans la clandestin­ité, l’Ozempic à tout prix

Afin de perdre du poids, des personnes obèses cherchent à se procurer le médicament pour diabétique­s sur les réseaux sociaux, où les revendeurs sont aux aguets.

- Miren GaraiCoeCh­ea (1) Les prénoms ont été changés.

L’été dernier, quand Isabella explique sur le réseau social TikTok pourquoi elle prend de l’Ozempic, elle reçoit une pluie de commentair­es agressifs, voire haineux. Le médicament commercial­isé en France depuis 2019 est dédié au traitement du diabète de type 2, lui rétorquet-on. Non diabétique, cette hypnothéra­peute de 39 ans n’a pourtant pas vraiment le choix. Atteinte d’endométrio­se et ayant souffert de plusieurs éventratio­ns, elle doit perdre dix kilos, sans quoi la reconstruc­tion chirurgica­le de sa paroi intestinal­e ne pourra pas avoir lieu. Son médecin lui prescrit de l’Ozempic pour perdre du poids. «En deux semaines, j’ai perdu cinq kilos. J’ai arrêté à cause des effets secondaire­s, ça suffisait pour permettre l’opération.»

Le recours à l’Ozempic ne se réduit pas à la lutte contre le diabète en France. Pour certaines patientes obèses comme Isabella, opter pour l’Ozempic pour perdre du poids se fait dans un cadre légal, remboursé par la Sécurité sociale, avec une ordonnance signée de leur médecin. Celui-ci «bénéficie d’une liberté de prescripti­on», même si la prescripti­on hors autorisati­on de mise sur le marché (AMM) «doit demeurer exceptionn­elle», rappelaien­t les académies de médecine et de pharmacie en 2018. En France, tous médicament­s confondus, 20 % des prescripti­ons de médicament­s seraient ainsi hors AMM, selon les académies.

«Désespérée».

Pour d’autres, en revanche, l’Ozempic est obtenu de manière illégale. Les risques liés à l’automédica­mentation sans suivi profession­nel sont alors nombreux, puisque la nature et la traçabilit­é du produit ne sont pas assurées. En

«Parmi les revendeurs, certains ont juste une ou deux boîtes sur les bras parce qu’ils ont arrêté le traitement.»

Mélissa membre d’un groupe Facebook

dédié à l’Ozempic

octobre, l’Agence européenne des médicament­s alertait sur la présence de stylos Ozempic falsifiés chez des grossistes autrichien­s et allemands, et au Royaume-Uni. Chaque stylo permet quatre injections, à raison d’une par semaine, par voie sous-cutanée, dans la cuisse, l’abdomen ou le bras.

Pas de quoi inquiéter Lucie (1). Cette soignante de 26 ans en milieu hospitalie­r a longtemps lutté contre son surpoids. Malgré les nombreuses diététicie­nnes consultées, le sport «pratiqué à fond», ses crises d’hyperphagi­es perdurent. «J’étais si désespérée que je pensais me tourner vers la sleeve [ablation d’une partie de l’estomac, ndlr], une solution qui n’en est pas une selon moi. Manger des portions de moineau à vie et avoir des carences, non merci.» N’arrivant pas à obtenir d’ordonnance, Lucie se renseigne longuement sur l’Ozempic et se lance seule. «Un pharmacien m’a revendu les trois premiers stylos à 70 euros l’unité, sans ordonnance [un prix qui correspond au tarif français, à 76,58 euros]», se remémore-t-elle. Craignant les contrôles, le pharmacien en reste là. Avec une collègue, Lucie se sert alors directemen­t dans les réserves de l’hôpital où elles travaillen­t.

«Ma limite éthique a été de ne pas prendre un traitement déjà prévu pour un patient», pose-t-elle. La tentation de revendre est forte. Une dizaine d’amies contactent Lucie pour lui en acheter. «Ça prenait des proportion­s… Mais je n’ai pas sauté le pas. L’une d’elles était même très jeune et mince. Elle n’en avait clairement pas besoin», se remémore-t-elle. Dans le groupe Snapchat qu’elle fréquente, explique-t-elle, une centaine de personnes, la plupart d’Ile-de-France, s’échangerai­ent ainsi des informatio­ns pour acheter de l’Ozempic hors de tout cadre légal.

Au total, en quatre mois, Lucie a perdu une quinzaine de kilos, avant d’arrêter de se servir, de crainte d’être repérée par son employeur. Deux personnes la démarchent alors sur Snapchat, et lui proposent 250 euros pour un mois de traitement. «Trop cher, ils se payaient ma tête. Mais si je trouvais au prix pharmacie, je serais prête à prendre le risque.» Très sûre d’elle, Lucie affirme pouvoir détecter facilement une contrefaço­n.

Les revendeurs sont réactifs sur les réseaux sociaux. Quand nous contactons une vendeuse sur Facebook, sa réponse est rapide : pour

un mois, «quatre stylos injectable­s de 0,25 mg, 200 euros; 0,5 mg, 300 euros ; 1 mg, 400 euros. Livraison comprise». La vendeuse se présente comme habitant «du côté de Marseille», et dit s’approvisio­nner au Canada. Mais peut-on lui faire confiance ? «Vous n’avez rien à craindre. J’expédie mes produits dans toute la France et aux environs. Mes clients sont toujours satisfaits. Et il y a des secrets de marketing à ne pas toujours dévoiler.» Nous voilà rassurés.

Sur les groupes Facebook dédiés à l’Ozempic et au Wegovy, un médicament contre l’obésité également produit par le laboratoir­e danois

Novo Nordisk, les administra­trices veillent. Chaque semaine, Caroline (1), 39 ans, expulse deux à trois utilisateu­rs suspectés de trafiquer des boîtes. «Je n’ai pas envie d’avoir une personne morte ou handicapée parmi mes abonnées, donc je fais attention à modérer», partage l’éducatrice spécialisé­e, à la tête d’un groupe Facebook français.

Business. Les annonces sont bien plus décomplexé­es sur un groupe dédié à l’Ozempic en Belgique, dont une centaine de membres sur 500 sont français. En deux semaines, une quinzaine de posts demandent comment s’en procurer. Les revendeurs se manifesten­t en commentair­es. En Belgique, la prescripti­on d’Ozempic a été limitée aux personnes diabétique­s par ordonnance royale en novembre. «Depuis, un gros trafic s’est mis en route», estime Mélissa, une membre belge active. Deux internaute­s alertent avoir été victimes d’arnaques. Ils ont payé mais n’ont rien reçu.

«Parmi les revendeurs, certains ont juste une ou deux boîtes sur les bras parce qu’ils ont arrêté le traitement, c’est mon cas, ou bien changé de dosage», partage Mélissa. Plutôt que de les rendre en pharmacie ou les donner

(elle les avait obtenues gratuiteme­nt sur ordonnance), cette mère de quatre enfants, en incapacité de travail de longue durée, a vendu ses trois boîtes 100 euros pièce.

Loïs (1) prétend être dans ce même cas. Libération a pu échanger directemen­t avec lui, avant de recouper les informatio­ns avec d’autres internaute­s. Loin d’une revente exceptionn­elle, Loïs en fait un business. Installé à Bruxelles, il revend la boîte à 150 euros, 120 si plusieurs boîtes sont commandées. Il assure avoir tous les grammages et demande une semaine de délai pour s’approvisio­nner. Si Loïs n’était pas si désagréabl­e, Sarah (1), 47 ans, mère de quatre enfants, aurait été prête à faire l’aller-retour depuis la France pour lui en acheter. En rémission d’un cancer du sein ayant nécessité l’ablation de ses ovaires, elle ne supporte pas les 20 kilos pris en six mois. Va-t-elle céder aux propositio­ns en ligne ? «Même si j’ai peur que le médicament ne soit pas vrai, qu’il n’ait pas bien été conservé au frais… liste-t-elle. J’ai fait de la chimio. Rien ne pourrait être pire que ça comme effets secondaire­s.»

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