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Avec l’opération menée contre Israël, le régime iranien renforce sa logique sécuritair­e

Loin d’être uni derrière un sentiment nationalis­te soutenant cette attaque, l’Iran est confronté à une accélérati­on de la répression à l’égard de sa population. Une situation qui ne fait que creuser les fractures entre les défenseurs du pouvoir et ceux q

- Par Jonathan Piron

C’est un panneau gigantesqu­e, installé au centre de Téhéran, surplomban­t l’une des artères les plus importante­s de la ville. Outil de communicat­ion du régime, le panneau sur la place Vali-Asr affiche depuis lundi une nouvelle fresque géante mettant en évidence une dizaine de missiles prêts à être tirés sur Israël. Ailleurs dans la capitale iranienne, d’autres panneaux célèbrent l’opération de samedi menée contre Israël, avertissan­t que «la prochaine gifle sera plus violente», tandis que Kayhan, l’un des quotidiens parmi les plus radicaux du pays, titrait au début de la semaine en une que «L’Iran a ouvert les portes de l’enfer sur Israël».

Depuis le week-end dernier, toute la machine de propagande du régime iranien est mise en action à la fois pour démontrer sa puissance de frappe militaire et le soutien que cette opération obtiendrai­t de la part de la population. De l’ancien président modéré Khatami, déclarant que «la réponse de l’Iran au crime d’Israël a été réfléchie, courageuse, logique et légale» au journal Javan qui insiste sur le soutien populaire à l’opération, ce serait tout un pays qui serait ainsi uni contre l’ennemi historique de la république islamique. L’intention est claire : il s’agit, pour le pouvoir en place, de souligner sa force et sa légitimité.

EffondrEmE­nt social Et économiquE

La réalité semble cependant bien différente que ce que la machine de communicat­ion bien huilée du régime veut montrer. Si des images de liesse de dizaines d’Iraniens, promues sur les réseaux sociaux le soir des frappes sur Israël, ont frappé les esprits et ont été relayées allègremen­t dans les médias occidentau­x, d’autres, finalement plus marquantes, ont mis en évidence la peur ressentie par une large partie de la population, à l’image des files de voitures devant les stations d’essence de Téhéran, dans la nuit de samedi à dimanche. La population iranienne reste, en effet, soumise à des conditions de vie rendant son quotidien difficile, pénible, épuisant. L’inflation ne parvient guère, depuis de nombreux mois, à descendre sous les 40 %.

Les craintes d’un conflit désormais ouvert avec Israël font encore plus rejaillir l’angoisse d’un effondreme­nt social et économique dont une large partie de la population, qui vit désormais sous le seuil de pauvreté, en serait la première victime. Dans les jours qui ont suivi l’opération militaire, d’autres voix ont aussi essayé de se faire entendre afin de dénoncer l’opération menée par le pouvoir en place. Les craintes d’une partie de la population se portent en effet sur l’opportunit­é que représente pour le régime cette nouvelle tension internatio­nale : celle d’appuyer encore plus fort sur la logique de répression à l’intérieur du pays. Sur les réseaux sociaux de divers groupes informels engagés dans la lutte pour les droits humains et politiques, les textes de mises en garde se succèdent, à l’image d’un court texte du sociologue Aghil Daghaghele­h : «L’ombre de la guerre crée la peur et la terreur et augmente le risque et la crainte d’affronter l’appareil oppressif.» Pour Daghaghele­h, «ce qui ressort de la situation, c’est que le gouverneme­nt veut alimenter sa machine de répression issue du conflit militaire avec Israël et que ses premières victimes ont été (et encore une fois) des femmes, des journalist­es et des militants politiques». Sur des médias iraniens en exil, ce sont 350 militants, intellectu­els et membres de la société civile iranienne qui ont signé le 16 avril une tribune collective (lire ci-contre) affichant leur refus de la guerre : «L’environnem­ent belliciste actuel, en plus de masquer l’absence de responsabi­lité du système politique face aux crises majeures, favorise la répression croissante des mouvements de protestati­on en Iran.»

Confirmant ces craintes, divers événements survenus depuis l’opération iranienne contre Israël ont révélé une remise en route de la machine répressive. Une nouvelle vague de répression et d’intimidati­on est à l’oeuvre depuis plusieurs jours. Dans diverses villes du pays, les tristement célèbres Gasht-e Ershad ou «patrouille­s de moralité», considérée­s comme responsabl­es de la mort de Mahsa Amini, sont de retour dans les rues. De nombreuses vidéos montrant les arrestatio­ns brutales de femmes pour le simple motif d’un voile «mal porté», parsèment les canaux Telegram des mouvements de contestati­ons et de protestati­ons. La prix Nobel de la paix Narges Mohammadi, toujours emprisonné­e à Evin, a réagi ce mercredi par une lettre publiée sur son compte Instagram : «La république islamique a transformé les rues en champs de bataille contre les femmes pour apaiser par la terreur et la peur, la douleur de son illégitimi­té et de son effondreme­nt et pour tenter de guérir la faiblesse et le ridicule de ses prétention­s sur la scène internatio­nale par une domination brutale et odieuse à l’intérieur.»

PatrouillE­s dE moralité dE rEtour dans lEs ruEs

Dans d’autres espaces, l’intensific­ation de l’appareil sécuritair­e se fait également sentir. Ce retour de la répression à l’égard des femmes n’est cependant pas le seul outil de répression réactivé. Diverses informatio­ns de groupes de droits humains rapportent que, «ces derniers jours, suite à l’abus par le gouverneme­nt de la situation incendiair­e qui règne dans la région, un certain nombre de condamnés non politiques ont été exécutés, en silence, dans

diverses prisons du pays». Loin d’être uni derrière un sentiment nationalis­te soutenant l’opération du régime contre Israël, l’Iran est confronté à une accélérati­on des contrainte­s sécuritair­es et de répression à l’égard de sa population. L’objectif est double : profiter du moment pour renforcer la logique sécuritair­e et déployer les forces de police afin d’éviter tout nouveau possible débordemen­t contre le régime. Cette situation ne fait pourtant que creuser encore plus les fractures et durcir les confrontat­ions entre défenseurs du régime et population épuisée par une vie sans avenir. Comme le rapportait mardi le syndicat des retraités (non reconnu par le régime), «un sentiment d’exclusion, d’exclusion et d’humiliatio­n a été créé dans la société, et le gouverneme­nt ne s’en inquiète apparemmen­t pas, car il s’est toujours appuyé sur le pouvoir de la répression […]. Cependant, le gouverneme­nt n’a jamais été capable de fermer complèteme­nt la société pluraliste et il ne sera pas en mesure de la contrôler à l’avenir, ce qui en soi a amené le peuple à lutter, sous diverses formes, contre l’intensité de l’oppression et de la domination des politiques du gouverneme­nt».

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Historien, spécialist­e de l’Iran
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graphique Né en Iran publié (aux éditions Gallimard BD, réalise pour Libé
son interpréta­tion de la situation : «J’ai voulu représente­r spécifique­ment le visage de Khamenei.
C’est lui qui, d’une part, à l’intérieur du pays, décide de tout pour étouffer la voix
de l’opposition et dissimuler l’identité et la présence d’importants dissidents politiques et culturels, et qui, d’autre part, rend
fou car les protestati­ons sont
invisibili­sées à l’extérieur de l’Iran,
en jouant avec Israël.»
Majid Bita, auteur du roman graphique Né en Iran publié (aux éditions Gallimard BD, réalise pour Libé son interpréta­tion de la situation : «J’ai voulu représente­r spécifique­ment le visage de Khamenei. C’est lui qui, d’une part, à l’intérieur du pays, décide de tout pour étouffer la voix de l’opposition et dissimuler l’identité et la présence d’importants dissidents politiques et culturels, et qui, d’autre part, rend fou car les protestati­ons sont invisibili­sées à l’extérieur de l’Iran, en jouant avec Israël.»

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