Libération

Projet de TVA sociale : un hold-up de l’argent des Français

Soixante-dix ans après la création de la taxe sur la valeur ajoutée, le ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraine­té industriel­le et numérique, Bruno Le Maire, veut que ses revenus contribuen­t au financemen­t de la Sécurité sociale. Ce systè

- Par DaViD GuirauD

Al’heure où la taxe sur la valeur ajoutée souffle ses 70 bougies, l’idée d’une «TVA sociale» fait son grand retour en politique. En voilà une idée neuve ! Défendue par

Nicolas Sarkozy, la voilà reprise par le responsabl­e de Les Républicai­ns, Eric Ciotti, et le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire.

L’idée de la TVA sociale est aussi simple que dangereuse : il s’agit de diminuer les cotisation­s sociales… en les faisant financer par la TVA. Ce que les Français paient de TVA dans leur chariot de courses partirait donc directemen­t financer des cadeaux fiscaux aux entreprise­s, dont on sait à qui elles bénéficien­t majoritair­ement (indice : cela commence par «CAC» et finit par «40»).

Beaucoup de voix s’offusquent – à raison – d’un possible retour de cette mesure qui constitue un hold-up de l’argent des Français. D’autant que les sommes annoncées sont colossales. Dans son dernier livre, Bruno Le Maire évoque une «TVA sociale» qui consistera­it à faire basculer 5 points de TVA, soit un montant de 60 milliards d’euros, vers le budget de la Sécurité sociale. Il s’agirait d’un choc sans précédent pour la consommati­on populaire des Français, qui peinent déjà à boucler leurs fins de mois.

POURQUOI CE RETARD À COMPRENDRE ?

Une injustice sociale… déjà sous nos yeux. Car à la lecture des documents budgétaire­s de l’Etat, cette TVA sociale existe déjà. Exactement dans les mêmes propositio­ns que celles proposées par le ministre de l’Economie d’ailleurs : 60 milliards d’euros !

L’éléphant est au milieu de la pièce, mais aucun commentate­ur ne semble le remarquer. Pourquoi ce retard à comprendre ce qu’il se passe ? Peut-être parce que tout est allé très vite. Comme le soulignait la Cour des comptes en 2019, les transferts de TVA à la Sécurité sociale sont entamés en 2006 pour compenser des allégement­s de cotisation­s sociales. Dans des proportion­s qui ne semblaient pas offusquer grand monde avant Emmanuel Macron : entre 5 % et 10 % du produit total de cet impôt était transféré chaque année entre 2013 et 2018. Ainsi, pour 100 milliards d’euros de TVA récoltés, 5 à 10 milliards d’euros «seulement» partaient vers la Sécurité sociale. Ce n’est que très récemment, en 2019, que les transferts de TVA explosent. D’un coup, l’Etat se met à transférer 41 milliards d’euros d’argent de la TVA vers la sécurité sociale. Soit une hausse de plus de 400 % du montant de TVA transféré entre 2018 et 2019 ! Et, depuis cette date, on se croirait au PSG : les montants des transferts explosent. On passe à 54 milliards d’euros de TVA transférés à la Sécurité sociale en 2021. Puis à 57 milliards d’euros en 2022.

Pour 2024, il est question de… 60,3 milliards d’euros de TVA transférés. C’est exactement le montant de la saignée annoncée par Bruno Le Maire dans son dernier livre, qu’il compte donc doubler.

UNE POLITIQUE LIBÉRALE AGRESSIVE ET INEFFICACE

Reste encore à savoir la raison de ces transferts. Elle est révélée dès 2019 par la Cour des comptes qui évoque dans son rapport sur les recettes fiscales de l’Etat : «L’affectatio­n aux administra­tions de sécurité sociale d’une nouvelle fraction importante de TVA […] prenant principale­ment en charge le coût des baisses de cotisation­s sociales décidées en contrepart­ie de la suppressio­n du Crédit d’impôt pour la compétitiv­ité et l’emploi (Cice).» La boucle est ainsi bouclée. C’est celle d’une politique libérale aussi agressive qu’inefficace, décidée par un Etat qui ordonne à la sécurité sociale de supporter de plus en plus le poids d’une politique destinée aux grandes entreprise­s en la forçant à se priver de milliards d’euros à cause des exonératio­ns de cotisation­s. Pour éviter l’implosion d’une Sécurité sociale privée de cotisation­s, le gouverneme­nt fait financer ces cadeaux aux entreprise­s en se privant d’une masse d’argent considérab­le… en distribuan­t l’argent de la TVA. L’argent issu de l’impôt le plus injuste est directemen­t aspiré par l’Etat pour le redonner immédiatem­ent au grand patronat. C’est bien ça, la «TVA sociale». Ce constat permet de résoudre une autre énigme. Par quel sortilège l’Etat, qui n’a jamais récolté autant d’argent de son histoire, peut-il être décrit comme en «manque de recettes» ? Le principal impôt du pays, la TVA, a connu une progressio­n fulgurante. Les recettes de TVA nette, c’est 162 milliards d’euros en 2017… et 186,7 milliards d’euros en 2021. Avant d’atteindre 202,7 milliards d’euros en 2022 (1) !

L’ÉTAT N’A JAMAIS ÉTÉ AUSSI RICHE

Mais curieuseme­nt, ces sommes ne se retrouvent pas dans le budget de l’Etat. Sur les 202 milliards d’euros de TVA nette collectés en 2022, on n’en retrouve que 100 milliards dans le budget de l’Etat ! Jusqu’en 2017, l’Etat gardait 90 % du rendement de la TVA dans ses caisses. Il ne conserve désormais plus que 45 % du produit de la TVA pour financer ses propres activités. Désormais, la moitié de l’argent issue de la TVA est absorbée par l’Etat et immédiatem­ent recrachée vers d’autres budgets, la sécurité sociale en premier lieu, puis les collectivi­tés locales qui subissent le même mauvais traitement.

Un autre mythe s’effondre alors : contrairem­ent aux idées reçues, l’Etat n’a jamais été aussi riche. Mais son argent ne sert plus à la redistribu­tion sociale. Il ne vient plus non plus renforcer des services publics qui sont au bord de l’effondreme­nt.

Non : l’Etat mobilise des ressources colossales pour financer le grand patronat directemen­t avec l’argent de la consommati­on populaire. Mais aussi pour prendre possession de deux budgets qu’il ne maîtrisait pas totalement : celui de la sécurité sociale et celui des collectivi­tés. Car privés de leurs ressources propres (les cotisation­s pour la sécurité sociale, les impôts locaux pour les collectivi­tés), ces deux maillons essentiels de notre démocratie n’auront pas d’autres choix que de se soumettre au pouvoir étatique qui les finance. Car qui paye, décide. Derrière le débat sur la TVA sociale, il y a donc une alerte : si nous ne nous opposons pas rapidement à cette prédation inédite, nous courons à la disparitio­n de notre démocratie sociale et du principe de libre administra­tion des collectivi­tés, privées de leur autonomie financière. •

Le principal impôt, la TVA, a connu une progressio­n fulgurante.

Les recettes de TVA nette, c’est 162 milliards d’euros en 2017… et 186,7 milliards d’euros en 2021. Avant d’atteindre 202,7 milliards d’euros en 2022.

(1) Projet de loi de règlement du budget et d’approbatio­n des comptes numéro 1 095 de l’année 2022.

 ?? ?? Député membre de la commission des finances du groupe parlementa­ire LFI
Député membre de la commission des finances du groupe parlementa­ire LFI

Newspapers in French

Newspapers from France