Projet de TVA sociale : un hold-up de l’argent des Français
Soixante-dix ans après la création de la taxe sur la valeur ajoutée, le ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire, veut que ses revenus contribuent au financement de la Sécurité sociale. Ce systè
Al’heure où la taxe sur la valeur ajoutée souffle ses 70 bougies, l’idée d’une «TVA sociale» fait son grand retour en politique. En voilà une idée neuve ! Défendue par
Nicolas Sarkozy, la voilà reprise par le responsable de Les Républicains, Eric Ciotti, et le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire.
L’idée de la TVA sociale est aussi simple que dangereuse : il s’agit de diminuer les cotisations sociales… en les faisant financer par la TVA. Ce que les Français paient de TVA dans leur chariot de courses partirait donc directement financer des cadeaux fiscaux aux entreprises, dont on sait à qui elles bénéficient majoritairement (indice : cela commence par «CAC» et finit par «40»).
Beaucoup de voix s’offusquent – à raison – d’un possible retour de cette mesure qui constitue un hold-up de l’argent des Français. D’autant que les sommes annoncées sont colossales. Dans son dernier livre, Bruno Le Maire évoque une «TVA sociale» qui consisterait à faire basculer 5 points de TVA, soit un montant de 60 milliards d’euros, vers le budget de la Sécurité sociale. Il s’agirait d’un choc sans précédent pour la consommation populaire des Français, qui peinent déjà à boucler leurs fins de mois.
POURQUOI CE RETARD À COMPRENDRE ?
Une injustice sociale… déjà sous nos yeux. Car à la lecture des documents budgétaires de l’Etat, cette TVA sociale existe déjà. Exactement dans les mêmes propositions que celles proposées par le ministre de l’Economie d’ailleurs : 60 milliards d’euros !
L’éléphant est au milieu de la pièce, mais aucun commentateur ne semble le remarquer. Pourquoi ce retard à comprendre ce qu’il se passe ? Peut-être parce que tout est allé très vite. Comme le soulignait la Cour des comptes en 2019, les transferts de TVA à la Sécurité sociale sont entamés en 2006 pour compenser des allégements de cotisations sociales. Dans des proportions qui ne semblaient pas offusquer grand monde avant Emmanuel Macron : entre 5 % et 10 % du produit total de cet impôt était transféré chaque année entre 2013 et 2018. Ainsi, pour 100 milliards d’euros de TVA récoltés, 5 à 10 milliards d’euros «seulement» partaient vers la Sécurité sociale. Ce n’est que très récemment, en 2019, que les transferts de TVA explosent. D’un coup, l’Etat se met à transférer 41 milliards d’euros d’argent de la TVA vers la sécurité sociale. Soit une hausse de plus de 400 % du montant de TVA transféré entre 2018 et 2019 ! Et, depuis cette date, on se croirait au PSG : les montants des transferts explosent. On passe à 54 milliards d’euros de TVA transférés à la Sécurité sociale en 2021. Puis à 57 milliards d’euros en 2022.
Pour 2024, il est question de… 60,3 milliards d’euros de TVA transférés. C’est exactement le montant de la saignée annoncée par Bruno Le Maire dans son dernier livre, qu’il compte donc doubler.
UNE POLITIQUE LIBÉRALE AGRESSIVE ET INEFFICACE
Reste encore à savoir la raison de ces transferts. Elle est révélée dès 2019 par la Cour des comptes qui évoque dans son rapport sur les recettes fiscales de l’Etat : «L’affectation aux administrations de sécurité sociale d’une nouvelle fraction importante de TVA […] prenant principalement en charge le coût des baisses de cotisations sociales décidées en contrepartie de la suppression du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (Cice).» La boucle est ainsi bouclée. C’est celle d’une politique libérale aussi agressive qu’inefficace, décidée par un Etat qui ordonne à la sécurité sociale de supporter de plus en plus le poids d’une politique destinée aux grandes entreprises en la forçant à se priver de milliards d’euros à cause des exonérations de cotisations. Pour éviter l’implosion d’une Sécurité sociale privée de cotisations, le gouvernement fait financer ces cadeaux aux entreprises en se privant d’une masse d’argent considérable… en distribuant l’argent de la TVA. L’argent issu de l’impôt le plus injuste est directement aspiré par l’Etat pour le redonner immédiatement au grand patronat. C’est bien ça, la «TVA sociale». Ce constat permet de résoudre une autre énigme. Par quel sortilège l’Etat, qui n’a jamais récolté autant d’argent de son histoire, peut-il être décrit comme en «manque de recettes» ? Le principal impôt du pays, la TVA, a connu une progression fulgurante. Les recettes de TVA nette, c’est 162 milliards d’euros en 2017… et 186,7 milliards d’euros en 2021. Avant d’atteindre 202,7 milliards d’euros en 2022 (1) !
L’ÉTAT N’A JAMAIS ÉTÉ AUSSI RICHE
Mais curieusement, ces sommes ne se retrouvent pas dans le budget de l’Etat. Sur les 202 milliards d’euros de TVA nette collectés en 2022, on n’en retrouve que 100 milliards dans le budget de l’Etat ! Jusqu’en 2017, l’Etat gardait 90 % du rendement de la TVA dans ses caisses. Il ne conserve désormais plus que 45 % du produit de la TVA pour financer ses propres activités. Désormais, la moitié de l’argent issue de la TVA est absorbée par l’Etat et immédiatement recrachée vers d’autres budgets, la sécurité sociale en premier lieu, puis les collectivités locales qui subissent le même mauvais traitement.
Un autre mythe s’effondre alors : contrairement aux idées reçues, l’Etat n’a jamais été aussi riche. Mais son argent ne sert plus à la redistribution sociale. Il ne vient plus non plus renforcer des services publics qui sont au bord de l’effondrement.
Non : l’Etat mobilise des ressources colossales pour financer le grand patronat directement avec l’argent de la consommation populaire. Mais aussi pour prendre possession de deux budgets qu’il ne maîtrisait pas totalement : celui de la sécurité sociale et celui des collectivités. Car privés de leurs ressources propres (les cotisations pour la sécurité sociale, les impôts locaux pour les collectivités), ces deux maillons essentiels de notre démocratie n’auront pas d’autres choix que de se soumettre au pouvoir étatique qui les finance. Car qui paye, décide. Derrière le débat sur la TVA sociale, il y a donc une alerte : si nous ne nous opposons pas rapidement à cette prédation inédite, nous courons à la disparition de notre démocratie sociale et du principe de libre administration des collectivités, privées de leur autonomie financière. •
Le principal impôt, la TVA, a connu une progression fulgurante.
Les recettes de TVA nette, c’est 162 milliards d’euros en 2017… et 186,7 milliards d’euros en 2021. Avant d’atteindre 202,7 milliards d’euros en 2022.
(1) Projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes numéro 1 095 de l’année 2022.