Libération

Sale en scène

Aymeric Lompret Rencontre avec l’humoriste qui cartonne dans son spectacle «Yolo» et sur France Inter.

- Par ADRIEN FRANQUE Photo RÉMY ARTIGES

L’oeil est vaseux. La toux grasse. Températur­e corporelle? Autour des 40°C. Sur la table basse, une pile de mouchoirs et un thé brûlant rallongé au miel: Aymeric Lompret a une angine. On le retrouve au fond d’un fauteuil de la «VIP Room» du théâtre l’Européen à Paris. Veste Adidas et pantalon large, ses réponses semblent traverser plusieurs nuages de brouillard fiévreux avant de nous parvenir. La maladie serait causée par sa suractivit­é, diagnostiq­ue-t-il. Il faut dire qu’on l’a obligé à venir nous voir sur un rare jour de repos, au bout d’une semaine à enchaîner sans temps mort une tournée, un tournage (un film avec Blanche Gardin et Philippe Katerine dans lequel il joue… un flic) et l’enregistre­ment du Grand Dimanche soir, la veille à Radio France. Pour pouvoir assurer sa chronique, sa tasse était remplie de rhum.

On ne doute pas que l’humoriste soit sursollici­té, tant il semble avoir crevé un plafond comique dernièreme­nt. Sur France Inter, ses billets désinvolte­s sur l’actualité prennent souvent des tangentes délirantes, incises méta ou minidialog­ues absurdes avec lui-même: «C’est assez virtuose, commente le camarade et cible récurrente Guillaume Meurice. T’as l’impression qu’il s’en fout, mais je le vois répéter avant l’émission, tout est super-bossé. C’est un comédien.» Une écriture anarcho dégueu qui n’appartient qu’à lui. Et à son coauteur, Pierre-Emmanuel Barré, qui le juge «malheureus­ement» dans la vie «assez proche de l’image qu’il donne». Et qui confie que le travail, avec lui, c’est d’«essayer de canaliser sa liberté pour avoir un discours construit, ne pas faire du sale gratuit. Du sale et du fond, c’est plus rigolo».

Le fond, ce seraient les sujets pas si riants que Lompret a regroupés dans son dernier spectacle: la précarité, l’isolement, la malbouffe, «ou la montée des extrêmes. Euh… de l’extrême droite, je veux dire. Merde, ils sont en train de m’avoir ces cons !» Coécrit avec Barré là aussi, Yolo le voit jouer un sans-abri qui cherche son chien. Un clochard forcément céleste, parfois inquiétant mais jamais repoussant, pour éviter le piège des clichés sur les SDF, en néoparrain de la Fondation Abbé-Pierre. Dans son précédent seul en scène (un «best of» de son début de carrière, avoue-t-il), il bavait, criait, exhibait son bide ou son cul, exercice fourre-tout parfois épuisant. Cette fois, s’il martyrise toujours les spectateur­s du premier rang, le personnage lui permet de soliloquer jusqu’à l’irrationne­l ou* l’obscène, à la fois mâle imbécile en plein laisser-aller et royal bouffon d’un capitalism­e en décomposit­ion.

Trouver son clown, c’est le premier chapitre de tout manuel d’apprenti humoriste. Pour Aymeric Lompret, ce cheminemen­t a pu ressembler à un lâcher-prise. Flash-back quatorze ans plus tôt : on l’interviewe pour un journal étudiant, à la fin d’une scène ouverte dans une pizzeria de Lille. Le débutant a été l’un des rares à nous décrocher quelques rires, des éclairs d’insanité affleurant sous un personnage d’instructeu­r militaire teubé. Il vient alors de commencer la scène, après des étés de GO d’un simili Club Med sur l’île de Ré – «pas du tout l’image des Bronzés : trop de boulot, pas assez de meufs !» Le reste du temps, il bosse à l’usine, à décharger des camions. Issu d’un milieu «classe moyenne tranquille» près de Tourcoing, père ingénieur, mère pharmacien­ne à mi-temps, il a abandonné les études au milieu d’une prépa HEC. «A l’usine, je voyais des gens oppressés par le travail, répondant à des cadences de production folles, tout ça pour un smic.» De quoi expliquer le grand écart entre ses deux seuls votes : Sarkozy en 2007, Mélenchon en 2022.

Le début de la gloire avec «ce physique de droite», il préférerai­t d’ailleurs qu’on l’oublie. Trente-neuf passages dans l’émission On n’demande qu’à en rire de Laurent Ruquier entre 2011 et 2013. Il a demandé que tout soit effacé de YouTube.

«J’ai vraiment honte, c’était atroce.» A regarder les sketchs rescapés, c’est vrai qu’on sent le comique bon élève, chemise bien repassée. Les

500 balles par émission le décideront à se lancer dans une carrière qui prendra un nouveau tournant après une tournée, les Insolents, plateau étiqueté «trash et corrosif» avec Blanche Gardin et Pierre-Emmanuel Barré. «Ils m’apprennent à travailler, à ne pas tomber dans les pièges de l’humour noir un peu nul, comme les vannes sur les curés pédophiles que je faisais avant.» Depuis, les salles se sont remplies d’un public «de blancs» s’amuse-t-il, parsemé de «dreadeux», de «punks à crêtes», de «techos». Règle d’or: «Si le régisseur rigole, c’est que le spectacle est bon.»

Séance photo. Son attachée de presse l’interrompt pour montrer une vidéo de son chihuahua s’accouplant sur un canapé. Elle se réjouit : la dernière fois, son chien avait refusé la saillie. Aymeric Lompret pose gracieusem­ent, verre de Fervex à la main, doigts vernis rouge carmin. «Ça fait deux mois que je fais ça. J’aime bien. Et puis, ça cache les ongles noirs.» Il rit. Même cause, la spontanéit­é pour expliquer ses tatouages, encres de soirées ivres sans significat­ion particuliè­re. Plus réfléchie fut sa récente greffe de cheveux en Grèce, matière à une chronique hilarante. «J’avais honte parce que ça fait un peu chirurgie esthétique. Du coup, il fallait vraiment que j’en parle.» Dans un sourire idiot, il ajoute qu’il n’avait «pas vraiment de soucis. Mais comme [il] aime bien les filles avec des cheveux, [il s’est dit] qu’ [il] allai[t] [s]e faire des cheveux aussi».

Le couple, ce ne sera pas pour lui: «Trop égoïste. Je préfère faire de mal à personne.» Rester irresponsa­ble, mais un peu moins qu’avant, en décélérant sur la bouffe, l’alcool, les drogues. Son euphorisan­t de choix : le LSD. «Seulement en festival, c’est pas bon pour la santé mentale.» Pour éviter la déprime des soirs de relâche, il s’est installé début avril en coloc avec sa consoeur à l’humour tout aussi shlag Doully, quittant Lille pour Paris. Avec leur dossier d’intermitte­nts, la recherche d’appartemen­t a évidemment été une galère, même si son salaire peut atteindre une rémunérati­on de patron de PME les meilleurs mois. Pas religieux, il croit seulement au «karma». Comment explique-t-il la transforma­tion qui l’a amené là? Laisser-aller ou minutieux paramétrag­e? «En rentrant dans ce métier, j’ai rencontré des gens différents de ceux que je rencontrai­s en prépa HEC, qui m’ont donné envie de me faire des tatouages, de manger plein de lasagnes ou de prendre des drogues. Ce milieu artistique assez désinvolte, qui te sort de l’ordinaire, m’a énormément changé. – Artiste, c’était l’idée de départ ? – Je ne voulais pas spécialeme­nt être artiste, je voulais juste être heureux. – Et c’est réussi? – Franchemen­t, c’est cool. Là, aujourd’hui, pas trop. En tout cas, quand je suis sur scène, ça me rend vraiment heureux. PFFFFRRRRR­TTTT.» Il se mouche violemment dans une serviette en papier. Son nez est rouge. •

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