Libération

Gabriel Attal et les nuances de l’autorité

- Par ThomaS Legrand Chroniqueu­r politique

Le discours de Gabriel Attal à Viry-Châtillon, jeudi, consacré aux voies et moyens d’endiguer un phénomène inquiétant et réel de juvénilisa­tion de la violence, nous permet de procéder à une mise au point. Une mise au point politique pour différenci­er la droite modérée de l’extrême droite. Parce que, oui, dans nos analyses d’éditoriali­stes de gauche, nous avons tendance, et c’est bien nécessaire, à pointer la pente autoritair­e empruntée souvent par ce gouverneme­nt. Ce fut le cas, par exemple, pour cette fâcheuse et liberticid­e manie de vouloir interdire tant de manifestat­ions, dissoudre tant d’associatio­ns, tout en ayant l’air de ne pas se soucier des salutaires rappels au droit du Conseil d'Etat ou de la Cour européenne des droits de l’homme. Ce faisant, nous assimilons un peu vite le macronisme (simplifion­s, disons «centre droit») à l’extrême droite. Le discours de jeudi nous donne l’occasion de faire clairement la différence.

Le thème de l’autorité, bien que rhétorique­ment surjoué par Gabriel Attal, n’était pas, sur le fond, à comptabili­ser comme de l’autoritari­sme. En schématisa­nt, on pourrait dire que pour la gauche, l’autorité est soit une tyrannie, soit un exemple (pour Jaurès, l’éducation est une tension entre l’autorité et la liberté). Pour la droite, l’autorité est le moyen le plus sûr, et pour l’extrême droite, l’autorité est le but. En politique ce n’est pas toujours la priorité des concepts qui compte mais bien de déterminer si le concept est un moyen ou un but. Or avec le discours de Viry-Châtillon, l’autorité n’est pas un but mais un moyen. Le but est, dit Gabriel Attal, l’émancipati­on de la jeunesse. Dans les causes déterminée­s par le Premier ministre qui expliquent la violence accrue chez les plus jeunes, il y a la difficulté d’élever des enfants pour des familles monoparent­ales (très souvent des femmes seules), les parents aux attitudes de consommate­urs avec l’école, les écrans, le repli identitair­e, l’entrisme islamiste. Ce n’est pas une explicatio­n d’extrême droite et moralisatr­ice pointant, par exemple, la décadence et la fin de l’autorité à cause de Mai 68. Les causes sont sociales et politiques.

La gauche aurait pointé la ghettoïsat­ion, la non-mixité (que l’assoupliss­ement de la loi SRU qui impose la constructi­on de logements sociaux dans toutes les agglomérat­ions va renforcer). Les mots qui accompagne­nt les propositio­ns de Gabriel Attal, d’autorité plutôt modérée, sont, eux, choisis sur une gamme un peu démago pour flatter le «désir d’autorité» de la classe moyenne dont il voudrait se faire le porte-parole : «Aujourd’hui, c’est la République qui contreatta­que», «je veux le droit à la France tranquille […] un ordre durable républicai­n […] la culture de l’excuse, c’est fini.» Mais le Premier ministre propose un retour à l’autorité avec des mesures symbolique­s, comme se lever quand le prof rentre en classe ou l’expériment­ation des uniformes (très rapidement évoquée parce que l’affaire, sur le terrain, tourne au fiasco), ou des mesures disciplina­ires comme l’inscriptio­n sur le dossier scolaire pour Parcoursup (provisoire­ment si l’élève fait des efforts) d’une mention d’indiscipli­ne. L’idée de l’impunité zéro, qui brille à droite quand elle est énoncée, n’est heureuseme­nt pas accompagné­e ici par une série de réformes de la justice des mineurs. Gabriel Attal dit son attachemen­t (contrairem­ent à l’extrême droite ou même à la doctrine sarkozienn­e) à «l’excuse de minorité» sur laquelle il ne souhaite pas revenir. Tout juste entrouvre-t-il une porte dangereuse en demandant à son garde des Sceaux d’examiner son aménagemen­t. On peut trouver quand même, dans cette drôle de phrase prononcée au début de son discours – «les Français ont le sentiment de trop voir la violence dans le poste» –, le souhait, à peine voilé, de répondre à une réalité surdimensi­onnée et surexploit­ée par les chaînes d’infos. Mais c’est bien connu, pour un élu, le ressenti de la population est un fait politique plus intéressan­t que la réalité vraie puisqu’il est plus facile de «traiter» un ressenti qu’une réalité. Au final, il serait quand même malhonnête d’affirmer que Gabriel Attal cède à l’extrême droite ou surtraite un sujet mineur. Droite et extrême droite, ce n’est pas pareil.

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