Libération

JO de Paris : Nike dans les starting-blocks du sexisme

- Par Sabrina ChampenoiS Chroniqueu­se société

Y aurait-il eu panne des écoutilles ? Poids lourd du sport, du sportswear et du streetwear, Nike est censément branché en permanence sur les vibrations de la société, en particulie­r des jeunes génération­s qui constituen­t le réservoir naturel de sa clientèle. Or, le 14 avril, l’équipement­ier a dévoilé les tenues conçues pour les participan­ts américains aux Jeux olympiques, et sa propositio­n pour les athlètes féminines atteste plutôt une étanchéité aux évolutions en cours. Alors que les hommes ont droit à un débardeur rouge et à un cuissard, le body des femmes est vertigineu­sement échancré. Le retour de boomerang a été immédiat, notamment via les réseaux sociaux. Championne des Etats-Unis du 5 000 m en 2006 et 2010, Lauren Fleshman a allumé Nike sur Instagram : «Les athlètes profession­nels devraient pouvoir concourir sans avoir à consacrer de l’espace cérébral à la surveillan­ce constante de leurs poils pubiens ou à la gymnastiqu­e mentale qui consiste à exposer chaque partie vulnérable de leur corps. Les tenues féminines devraient être au service de la performanc­e, mentalemen­t et physiqueme­nt. Si cette tenue était vraiment bénéfique à la

nd performanc­e physique, les hommes la porteraien­t. Il ne s’agit pas d’une tenue d’élite pour l’athlétisme. Il s’agit d’un costume issu des forces patriarcal­es qui ne sont plus les bienvenues. Arrêtez de rendre les choses plus difficiles pour la moitié de la population.» Tara Davis-Woodhall, championne du saut en longueur, médaille d’argent aux championna­ts du monde 2023, a grincé, en commentair­e : «Attendez, mon minou va sortir.» Nike et la fédération américaine d’athlétisme (USATF), qui a collaboré avec l’équipement­ier pour ce vestiaire, ont répondu à la polémique en indiquant que ce body n’était qu’une des options parmi les quelque 50 vêtements et 12 styles prévus pour les hommes et les femmes, et que les besoins comme les envies des athlètes avaient été pris en compte pour leur développem­ent. Toujours est-il qu’il y a de quoi se pincer, et se réjouir du déferlemen­t de commentair­es outrés ou acerbes (du type «J’espère que l’USATF paie les épilations du maillot»). Car, comme le rappelle un article du Guardian,

«le débat fait rage depuis des années sur les tenues plus révélatric­es pour les athlètes olympiques féminines dans des discipline­s allant du volley-ball de plage à la gymnastiqu­e, et certaines règles sur les tenues de compétitio­n sont en train de changer. L’équipe allemande de gymnastiqu­e féminine a porté des combinaiso­ns intégrales aux JO de Tokyo, dans le but, selon elle, de lutter contre la sexualisat­ion de ce sport. La semaine dernière, la gymnastiqu­e néo-zélandaise a actualisé ses règles vestimenta­ires pour permettre aux femmes et aux jeunes filles de porter des shorts ou des leggings par-dessus leur justaucorp­s».

Alors, d’aucuns répondront que le sport repose sur le corps, et que souligner ou révéler au maximum les plus performant­s n’a rien de déplacé, leur perfection participan­t d’ailleurs à l’attrait de compétitio­ns comme les Jeux olympiques. D’autres pointeront que certaines athlètes féminines travaillen­t leur «sexytude» par du maquillage, de la manucure, de la coiffure. Nike a par ailleurs reçu le soutien d’intéressée­s, comme la perchiste Katie Moon, qui a défendu son sponsor sur X en disant le body certes «préoccupan­t» mais en pointant le vaste choix qu’offre le kit, et en indiquant qu’elle préférait pour sa part les slips aux shorts, pour avoir «aussi peu de tissu possible qui se colle à [elle]» pendant l’effort.

Soit. Il demeure que les temps changent, et qu’une marque comme Nike se doit d’être dans les starting-blocks du progressis­me plutôt que du conservati­sme. Pour rester à la pointe, ce body pour bimbo qui contredit la remise en cause de l’objectific­ation du corps féminin aurait dû être disqualifi­é.

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Photo Nike Le body des athlètes femmes est vertigineu­sement échancré.

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