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«Apologie du terrorisme» : un syndicalis­te condamné, la CGT inquiète et indignée

- FraNTz DuruPT

«Les horreurs de l’occupation illégale se sont accumulées. Depuis samedi [7 octobre] elles reçoivent les réponses qu’elles ont provoquées.» Cette phrase figurait dans un tract de l’union départemen­tale CGT du Nord diffusé le 10 octobre sur son site internet, trois jours après les massacres commis par le Hamas en Israël. Elle relève, selon le tribunal correction­nel de Lille, d’une «apologie du terrorisme».

Aussi le secrétaire général du syndicat, Jean-Paul Delescaut, a-t-il été condamné à un an de prison avec sursis jeudi, le tribunal estimant que la communicat­ion de la CGT du Nord incitait à «amoindrir la réprobatio­n morale» envers les auteurs de l’attaque, sans contenir «aucune condamnati­on explicite ou implicite des actes du 7 Octobre». Il a ainsi suivi les réquisitio­ns du parquet, Jean-Paul Delescaut –qui a reconnu une «maladresse» durant l’audience – étant aussi condamné à verser 5000 euros à une associatio­n reconnue partie civile, l’Organisati­on juive européenne, au titre de son préjudice moral. Les avocats du condamné ont aussitôt annoncé faire appel. La CGT aussi, par la voix de sa secrétaire générale, Sophie Binet : «Il s’agit d’un cap gravissime franchi dans la répression des libertés», a-t-elle estimé sur Twitter (renommé X).

Le 28 mars, lors d’un discours prononcé à Lille à l’occasion de l’audience de Jean-Paul Delescaut, elle avait souligné que dans ce tract, la CGT «disait une triste vérité : la violence entraîne la violence. La violence de l’occupation imposée depuis quatre-vingts années au peuple palestinie­n entraîne, malheureus­ement, la violence. Et, comme ce fameux tract l’indiquait, la CGT pleure toutes les victimes». Le responsabl­e syndical a reçu le soutien public du codélégué général de Solidaires, Simon Duteil, mais aussi du député LFI du Nord Ugo Bernalicis.

Répression. Les conditions d’interpella­tion et de mise en examen du syndicalis­te avaient déjà ému la CGT, fin octobre, Jean-Paul Delescaut ayant été cueilli chez lui «à 6 h 20 […] par des policiers cagoulés», selon un autre responsabl­e de la CGT du Nord. L’ancien candidat LFI à l’élection présidenti­elle JeanLuc Mélenchon dénonçait alors le fait qu’«Elisabeth Borne [alors Première ministre, ndlr] et Gérald Darmanin [fassent] de la France une sorte de régime autoritair­e de type nouveau».

Dans une tribune publiée en début de semaine sur le site de Mediapart et notamment signée par Sophie Binet, celui qui était alors préfet du Nord, Georges-François Leclerc, est pointé comme la personne ayant «suscité» les poursuites, alors qu’il était «en conflit ouvert avec la CGT du Nord sur plusieurs mobilisati­ons sociales et notamment celle des ouvrières de Vertbaudet». Ce même Georges-François Leclerc est aujourd’hui le directeur de cabinet de la ministre du Travail, Catherine Vautrin. Pour la CGT, les poursuites et la condamnati­on de JeanPaul Delescaut s’inscrivent dans un contexte plus large de répression syndicale. A la tête de l’union départemen­tale CGT de l’Allier, Laurent Indrusiak recensait en décembre «28 convocatio­ns» le visant nommément. A la même période, la secrétaire générale de la CGT du Val-d’Oise, Myriam Lebkiri, était convoquée à la gendarmeri­e de Pontoise pour des faits allégués de «détériorat­ion légère et menaces envers un élu» commis durant la mobilisati­on contre la réforme des retraites. La sélection d’exemples n’est pas exhaustive. La centrale syndicale estime que «plus de 1 000 militantes et militants font l’objet de poursuites par les tribunaux» dans ses rangs. Beaucoup font suite aux mobilisati­ons de 2023, selon Céline Verzeletti, secrétaire confédéral­e.

«Détournés». «Je suis très inquiète, affirmait Sophie Binet à Libération le 5 avril. Pas une semaine ne passe sans qu’il y ait l’annonce d’un militant syndical poursuivi devant les tribunaux. Des services de police et de justice sont détournés de leurs fonctions premières.» La veille, le secrétaire général de la CGT de Seine-Saint-Denis, Kamel Brahmi, avait été placé en garde à vue pour un supposé «outrage» proféré envers un policier durant une action menée lors de l’inaugurati­on du centre aquatique olympique par Emmanuel Macron. Il en était ressorti libre et sans poursuites.

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