Libération

BD / «Je suis un Américain», United esthète

Dans un album minimalist­e mais loin d’être froid, Guillaume Chauchat imagine un gamin de retour des Etats-Unis qui se débat avec ses souvenirs et ses fantasmes.

- MARIUS CHAPUIS

Il serait facile de ranger Je suis un Américain dans la catégorie des BD «exigeantes». Celle-là même dont on nous rabâche l’existence au lendemain de chaque palmarès d’Angoulême et qui s’opposerait à la grande bande dessinée populaire. Des livres trop abstraits ou sophistiqu­és pour s’adresser simplement,

nd directemen­t, au coeur. Il faut reconnaîtr­e que le bouquin de Guillaume Chauchat prête le flanc à cette critique : des couleurs à la Mondrian qui le situent plus près du monde de l’art que des petits Mickey ; des scènes de rêve à l’étrangeté surréalist­e ; un dessin minimalist­e agitant des personnage­s dénués d’yeux sabotant l’identifica­tion… Et plus généraleme­nt, un édifice qui semble construit par soustracti­on, comme si chaque élément représenté avait été préalablem­ent expurgé de tout ce qui ne relèverait pas du nécessaire et du signifiant. On ose à peine évoquer l’ultime étrangeté d’un ouvrage nourri de la vie de son auteur mais qui ne relève pas pour autant de l’autobiogra­phie ou de l’autofictio­n…

Et malgré cela, Je suis un Américain est un livre à fleur de peau, incroyable­ment habile dans sa manière de stimuler les sentiments et les impression­s de son lecteur. Jean est un enfant à tête d’oeuf. Lui et ses parents viennent de rentrer de plusieurs années aux Etats-Unis et il n’est pas du tout en paix avec cette idée. Alors, il se réfugie dans un monde de rêves et de chimères. Pour s’acclimater doucement ou tuer le temps avant un retour au pays. Une idée fixe. Sauf que le pays après lequel il court est moins l’Amérique que les «States», terre de clichés collectifs saupoudrés de quelques marottes personnell­es (l’équipe de baseball d’Oakland). Une projection façonnée par le cinéma, les séries.

Le côté déroutant et génial du livre de Chauchat consiste à ne pas répéter par le dessin ce que le texte dit déjà. Quand on confronte le petit à ses mauvaises notes, ce qu’il met en images c’est une main que le gamin torture du bout de sa fourchette. La culpabilit­é transformé­e en douleur perçante, matérielle. Ce qui est ici capturé, ce sont les sentiments qui agitent Jean, puis Jane et enfin Jeannie. A des années-lumière du livre froid et théorique que peut renvoyer ses atours, Je suis un Américain est une lecture fragile, une réflexion sur le fantasme qui se tient sur le fil des émotions de ses personnage­s comme de ceux qui le parcourent.

JE SUIS UN AMÉRICAIN de GUILLAUME CHAUCHAT éd. 2024, 224 pp, 25 €.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France