«Monkey Man», à quel singe se vouer ?
Dans son premier film nd en tant que réalisateur, l’acteur anglais Dev Patel tente de fusionner cinéma d’action occidental et indien. L’essai, désordonné et maladroit, vaut néanmoins pour sa courageuse visée politique.
Un héros sans nom sur le chemin de la vengeance. Lutteur dans des combats truqués la nuit, employé dans un palace le jour. Où il subit les brimades sans broncher, dans l’unique but d’approcher sa cible – le responsable d’une tragédie passée, déflorée à coups de flash-back subliminaux. L’objectif atteint, le héros passe à l’acte mais rate son coup. Démarre alors une longue chasse à l’homme, sanglante et chaotique – mais pas que. Ecrit, mis en scène et interprété par Dev Patel (découvert adolescent dans le Slumdog Millionaire de Danny Boyle en 2008), produit par Jordan Peele, Monkey Man tente une acrobatie risquée : créer un point de fusion entre le cinéma d’action occidental et sa contrepartie indienne. Le casting est à 99 % local, les extérieurs sont tournés à Bombay et le récit aborde des problématiques politiques et culturelles inhérentes au pays. Mais tout le monde parle anglais et la forme générale est celle d’une production anglo-saxonne, l’essentiel des spécificités du cinéma indien ayant été atténuées, voire complètement gommées.
Pataud. Empruntant pas mal à John Wick, un peu à Batman Begins, Monkey Man impressionne moins dans ses scènes de combat, appliquées, fluides, mais sans folie, que dans sa représentation du maelström urbain – tout est sale, rapide, brutal. Il faut dire que ce premier long métrage est luimême assez bordélique : découpé en quatre segments de 30 minutes, Monkey Man souffre de nombreuses ruptures de ton et baisses de rythme qui, ajoutées à un symbolisme un peu pataud (l’épopée d’Hanuman, le Dieu singe, lourdement insérée en filigrane), le placent vingt wagons derrière les films tentaculaires et débridés de Lokesh Kanagaraj, maître ès-tatane du cinéma tamoul. Reste que le film de Patel a un atout pour lui et pas des moindres : sa visée politique. Précautionneusement voilée et pas forcément accessible au public occidental, globalement mal informé de la situation en Inde, mais suffisamment claire pour être entendue et saluée, d’autant que le réalisateur a choisi d’aborder deux questions particulièrement radioactives.
Le sort de la population musulmane du pays, tout d’abord, discriminée sans relâche depuis 2002 et les pogroms perpétrés dans l’Etat du Gujarat avec la complicité de la police et surtout de Narendra Modi, à l’époque dirigeant de l’Etat, devenu entre-temps Premier ministre indien. C’est justement lui qui est visé en second plan, au travers du personnage de Baba Shakti, gourou-psychopathe tout-puissant, s’inspirant à la fois du Yogi Adityanath, moine fondamentaliste à la tête de l’Uttar Pradesh, dans le nord de l’Inde, et de Modi lui-même. Deux figures qui feraient passer Vladimir Poutine pour un centriste modéré, hérauts d’un nationalisme carburant à l’épuration ethnique et religieuse, à la répression systématique et à l’ultraviolence, et à qui les chefs d’Etat de la planète ouvrent pourtant les bras sans ciller – Emmanuel Macron a reçu Modi en 2023 pour le défilé du 14 juillet, et ce malgré la mise en garde de l’écrivaine Arundhati Roy, qu’il avait demandé à rencontrer lors de sa première visite en Inde, en 2018.
Climax. Initiative courageuse donc, de la part de Dev Patel, d’autant qu’elle est quasiment impossible à tel niveau dans le cinéma indien, et qui permet à Monkey Man de tenir bon, malgré ses multiples maladresses, approximations et paradoxes (le héros du film se reconstruit grâce à un cocktail de violence et de spiritualité qui rappelle précisément celui mis en place par Modi). On attend maintenant le climax du film : sa sortie en Inde, prévue ce mois-ci, en pleine campagne électorale, où malgré les coupes que lui imposera à coup sûr la censure, il ne devrait clairement pas passer inaperçu.
Monkey Man de Dev PaTeL avec Dev Patel, Makarand Deshpande, Pitobash Tripathy… 2 h 01.