Ombres d’Amérique Road trip méditatif de François Ide
Cortez, Colorado, Etats-Unis: «une ville comme les autres» au sein du désert, terre sacrée du peuple pueblo. C’est là que se déroule God Bless America, premier roman de François Ide. Mais c’est plutôt un récit ; l’histoire d’un narrateur qui écrit pour lui-même, ou plutôt pour l’ombre de lui-même : «ma passion pour le désastre était sans limites». On ne sait rien de lui : est-il jeune ou vieux ? Qu’est-il venu faire aux Etats-Unis? Un road tripper qui a lu tout Kerouac, aficionado du motel, de la highway et du cruising climatisé? Qui sait ? God Bless America rapporte une extraordinaire odyssée qui passe en contrebande des vues pleines d’acuité sur l’Amérique comme les Cool Memories de Jean Baudrillard. A Cortez donc. Extérieur nuit. Là, l’inévitable motel dont la vue donne sur un inévitable parking et un troupeau de Ford et de Chevrolet aussi monstrueux que les bisons de la conquête de l’Ouest. Des fermiers sont réunis autour d’un barbecue improvisé, des caisses de bière plein le plateau de leurs pick-up. On est au pays des muscle cars, des desservants du V8 big block, des tunings survitaminés dans des tons friandises à rendre, en plus, l’écolo diabétique, sans oublier l’inévitable autocollant au cul : «Make America great again». Sur ce parking trône à l’écart un «Ford F-250 MegaRaptor Super Duty» d’un blanc nacré sur lequel une plaque d’immatriculation se détache avec une inscription aussi énigmatique qu’un oracle de Delphes : «Don Chalmers». «L’ensemble était parfait, le nom, la couleur, les étoiles, et le véhicule qui, à présent, m’apparaissait dans sa splendeur monstrueuse.» Le narrateur est immédiatement fasciné par cette identité mystérieuse et va chercher à savoir qui se dissimule derrière ce nom qui intimide tout le monde. Dans son manque à être, il a trouvé le Minotaure, il lui reste à parcourir le labyrinthe. Il va mener l’enquête et s’accrocher à cette hallucination mécanique pour «rêver sa vie».
Le livre de François Ide a tout pour retenir l’attention. A commencer parce qu’il est formidablement écrit. C’est un monologue intérieur qui court sur plus de cent pages. Une méditation qui se superpose à un périple et qui comme toute quête n’a d’autre objet que de trouver la vérité de celui qui s’y livre. Mais la traque de Don Chalmers recoupe aussi l’Amérique dont il est en quelque sorte le nom secret. Le narrateur va faire l’expérience de l’american way of life. Il visite les sites amérindiens où le génocide a été transformé «en visite guidée ou en Monument National». Assiste à un rodéo, s’inscrit à un stand de tir où il s’initie au fusilmitrailleur R-15, «arme des tueurs de masse», non sans cauchemarder dans des scènes de Delivrance de John Boorman. «L’illusion de mes fantasmes nourrissait la légende à mesure que j’avançais dans les plis d’un pays ravagé par lui-même. J’aimais ça. Le goût du drame édulcoré recouvrait le tragique de la vie jusqu’à lui donner un parfum de sucre. Le rire artificiel des foules rendait le spectacle inoffensif et les vieilles questions métaphysiques se traitaient d’un mouvement d’épaules. Il suffisait de lever les yeux pour se sentir immense, suivre une nouvelle piste et se laver de la poussière.» Une saison en enfer! Et comme on dit là-bas: «Have a nice day».
FRANÇOIS IDE GOD BLESS AMERICA LE DILETTANTE, 128 PP., 15 € (EBOOK : 7,49 €).