Libération

Véronique Ovaldé, plus qu’imparfaite Huit nouvelles reliées

- Par ThoMaS STéLandre

On dit que les nouvelles ne se vendent pas. On entend même qu’il vaudrait mieux ne pas dire le mot, qu’il ferait fuir les acheteurs potentiels. C’est faux. La preuve avec A nos vies imparfaite­s qui affiche bien «nouvelles» sous son titre et souligne bravement son genre littéraire, manière d’annoncer la couleur et de lancer aux frileux: et alors quoi, serais-je moins bien qu’un roman, moins valable, moins parfait ? Pour raconter des existences jolies et un peu foirées, jolies car un peu foirées, Véronique Ovaldé (appréciée du public comme une amie, en particulie­r depuis Ce que je sais de Vera Candida en 2009) a opté pour la forme courte en reliant huit personnage­s les uns aux autres façon poupées russes – ainsi Eva l’agente immobilièr­e a une fille, laquelle fille sonne chez la voisine, laquelle voisine vient de perdre son mari, etc.

1 Comment s’appelle la chatte de la voisine ?

Les protagonis­tes ont en commun d’être décevants. Pas de notre point de vue de lecteur, mais à leurs propres yeux ou à ceux de leurs parents. Ce sont des figures «de second plan», des «figurants», or les figurants ne sont pas censés jouer les premiers rôles. Sauf que, comme dans la chanson, Véronique Ovaldé aime à l’évidence les gens qui doutent et passent leur vie moitié dans leurs godasses et moitié à côté. Quand on rencontre Eva Coppa («comme la coppa»), elle porte des escarpins. Cela ne dure pas : c’était juste pour le travail. La voilà en baskets dans le bus. Sa fille a décidé de se faire appeler Bob et la mère a du mal à s’y résoudre («de notre côté, appelons-la comme elle l’entend» glisse l’instance narrative, la voix de la raison). Chez Ovaldé, les personnage­s féminins peuvent porter des prénoms masculins (et viceversa). D’ailleurs, la chatte de la voisine s’appelle Jean-Luc, en référence à Godard.

2 N’est-ce pas incroyable de remplir sa bouilloire ?

C’est dans l’ensemble tout à fait charmant, dans un registre fantaisist­e, et puis ça fonctionne parce qu’on songe «ah tiens, moi aussi» (une qualité très recherchée dans le «Pourquoi ça marche»). Ainsi Eva ne se lève «jamais le matin sans s’extasier sur le fait d’avoir l’eau courante, elle ouvre le robinet pour remplir la bouilloire et elle pense, Oh on a l’eau courante». Par instants, c’est même plus que ça. Ovaldé, qui écrit aussi pour la jeunesse, parle bellement de l’enfance le temps d’une fête d’anniversai­re («Elles s’extasient et s’aiment en train de s’extasier») et de l’adolescenc­e («[…] les filles qui savent arpenter les trottoirs en chuchotant, en gloussant, en riant, et leurs secrets sont merveilleu­x, leurs désirs sont merveilleu­x et tragiques»).

3 Qui se cache derrière ?

Sur le plateau de la Grande Librairie la semaine dernière (l’émission n’étant pas pour rien dans le bon départ du recueil), l’écrivaine en convenait : «Je suis dans tous mes personnage­s». Véronique Ovaldé ne fait pas d’autofictio­n, mais elle se présente par biais et détours, et ici en pointillé. «Le narrateur n’est pas le héros de l’histoire», lit-on dans la dernière nouvelle. La jeune fille qu’on suit alors, Jo, se trouve moins jolie et moins intéressan­te que son amie Lili, mais s’en accommode bien. «Quelle importance, elle accompagna­it l’héroïne.»

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 ?? ?? VéROnique OValdé
A noS vieS impARFAiTe­S Flammarion, 160 pp.,
19 € (ebook : 13,99 €).
VéROnique OValdé A noS vieS impARFAiTe­S Flammarion, 160 pp., 19 € (ebook : 13,99 €).

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