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Microfémin­isme : sur TikTok, le militantis­me des petits pas

La tendance née sur le réseau social chinois invite les utilisatri­ces à partager leurs actions du quotidien en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. Une petite victoire par rapport aux biais habituels de la plateforme.

- Par MarGaux Gable

Qui scrolle plus d’un quart d’heure sur TikTok a franchemen­t plus de chances de sombrer dans les tréfonds de l’algorithme et de se retrouver nez à nez avec mascus et fachos en tous genres que face à des trends qui entendent démonter les stéréotype­s de genre. Alors après avoir quasi perdu toute foi en l’humanité en voyant surgir des tendances qui demandent ce qu’une femme fait dehors après 22 heures ou avoir vu percer des comptes qui vantent les mérites de la femme au foyer, le «microfémin­isme» est déjà une petite victoire. Citer davantage de références féminines, ne pas s’écarter en croisant un homme dans la rue ou ne pas écouter un homme qui coupe la parole à une femme… sur Tiktok, des utilisatri­ces dressent le top de leurs petites actions – parfois quasi impercepti­bles – pour lutter contre le sexisme au quotidien.

Sororité. Comptabili­sant 2,1 millions de vues et 230 000 likes, la vidéo d’Ashley Chaney, animatrice et productric­e américaine, fait office de figure de proue. «Quand j’envoie un mail à un chef d’entreprise et qu’il faut mettre son assistant en copie, si c’est une femme, je la mets toujours en destinatai­re principal. Peut-être que personne ne le voit mais c’est une façon de dire “on se sait”. Pareil, si j’envoie un mail à plusieurs personnes, je mets toujours le nom de la femme en premier : “Bonjour Cathy et Joe.” C’est ma forme préférée de microfémin­isme. Quelle est la vôtre ?» En quelques heures, la trend est lancée. Le hashtag #microfemin­ism est repris dans divers pays et langues.

Premier champ de bataille des microfémin­istes : la vie de bureau. Et pour cause, en entreprise, le sexisme dit «ordinaire» a la vie dure. Selon les chiffres du dernier baromètre 2023 #StOpE (pour Stop au sexisme dit «ordinaire» en entreprise), pour 79 % des femmes interrogée­s, «les femmes sont régulièrem­ent confrontée­s à des attitudes ou des décisions sexistes dans le monde

«Chaque acte en faveur de l’égalité doit être respecté. C’est important de ne pas se diviser.» Violaine De Filippis Abate avocate et militante féministe

du travail». Et face à ces comporteme­nts sexistes, une femme sur deux s’est déjà avouée «très affectée» ou a déjà «ressenti un sentiment d’injustice, de colère ou d’humiliatio­n». Alors pour casser la tendance, une internaute raconte qu’«en réunion, quand un mec coupe la parole à une femme, je fais toujours attention à ne pas regarder, à continuer à regarder la fille et à parler avec elle».

Quand une professeur­e américaine reconnaît accorder davantage la parole aux femmes quand deux élèves lèvent la main, une étudiante française s’arrange pour toujours citer «au moins trois références féminines» : «Parce que c’est toujours des auteurs, des philosophe­s, des artistes masculins. Donc en philo, je vais vous mettre Simone de Beauvoir, en littératur­e, je vais parler de Marjane Satrapi ou Laetitia Colombani, en histoire je vais aussi parler de Noor Inayat Khan, de Susan Travers.»

Vent debout contre la prédominan­ce masculine dans le langage, nombre de femmes disent opter pour un vocabulair­e neutre et faire des choix sémantique­s en faveur du féminin. Le poids des mots comme fer de lance, elles essayent «de placer le féminin avant le masculin: “bonjour à toutes et à tous” ou “mesdames et messieurs” par exemple, ou utiliser humains plutôt que les hommes», partage une autre utilisatri­ce.

Expression non négligeabl­e de sororité pour alléger la charge mentale des femmes, dans les commentair­es, une internaute témoigne: «Je travaille en crèche, j’ai pour règle de toujours appeler les papas en premier quand l’enfant est malade.» Si, aux yeux de certains, ces actes peuvent confiner à l’absurde, ils répondent pourtant à une réalité bien documentée. Selon une enquête OpinionWay pour la plateforme de téléconsul­tation Qare publiée en mars 2022, 67 % des femmes interrogée­s estiment être le parent principal qui s’occupe des charges médicales des enfants. Un chiffre qui grimpe à 82 % chez les CSP +.

«Pédagogie». Dans l’espace public, les femmes qui relaient la trend entendent reprendre leur place et ne plus s’écraser face aux hommes. Pour beaucoup, impensable désormais de se décaler dans la rue face à leurs homologues masculins même si «c’est super compliqué parce que c’est un réflexe qu’on a», reconnaît une jeune femme. Sans surprise, la trend attire son lot de détracteur­s : «Ha bha c sur que ça fait avancer la cose ça [sic]», se rebiffe un internaute. Des réactions qui, aux yeux de l’avocate et militante féministe française Violaine De Filippis Abate, interrogée par Libération, sont révélatric­es du «travail de pédagogie qu’il reste à faire pour expliquer le lien entre le sexisme ordinaire et les agressions en bout de chaîne». La trend qui gagne progressiv­ement Instagram est saluée par Suzy Rojtman, porteparol­e du Collectif national pour les droits des femmes. Selon elle, il faudrait toutefois maintenant passer la seconde et «s’attaquer aux violences, aux attaques contre le droit à l’avortement, aux inégalités salariales entre les femmes et les hommes, la précarité qui touche en premier les femmes…»

Si, pour l’avocate américaine Katie Woods, «au lieu de se lever, brûler son soutien-gorge et crier après les gens», le microfémin­isme entend prôner «les petits actes pour faire rager les hommes», Violaine De Filippis Abate rappelle qu’il est important de «ne pas introduire de hiérarchie dans les actions» : «Chaque acte en faveur de l’égalité doit être respecté. C’est important de ne pas se diviser et de respecter les autres.» Celles qui crient, qui se lèvent et se cassent comme celles qui citent les assistante­s en premier. Surtout que, ne l’oublions pas : c’est peutêtre un petit pas pour le féminisme, mais déjà un grand pas pour TikTok.

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