Libération

Pas-de-Calais: la recrudesce­nce des traversées inquiète les assos

Vers Wimereux, cinq migrants sont morts en mer dans la nuit de lundi à mardi en tentant de rejoindre l’Angleterre. La loi d’expulsion vers le Rwanda ne devrait pas refroidir les candidats à l’asile britanniqu­e.

- Stéphanie Maurice Envoyée spéciale à Wimereux

Le groupe chemine, tous et toutes vêtus d’un gilet de sauvetage orange, en ce début de mardi après-midi. On les voit de loin, ils ne se cachent de rien ni de personne. Des nationalit­és différente­s, asiatiques, africaines, sans doute afghanes. Ils sont une cinquantai­ne et, parmi eux, deux enfants. Une voiture de la gendarmeri­e les suit de loin, sert de voiture-balai si nécessaire, avec warnings allumés, quand la route côtière entre Ambleteuse et Wimereux devient trop étroite. Ils se dirigent vers le parking des Allemands, dans les dunes hautes de la baie de la Slack, là d’où précisémen­t est partie l’embarcatio­n de la nuit précédente, vers 5 heures du matin.

Accroissem­ent. Cinq morts à déplorer, une femme, trois hommes et une fillette d’entre 4 et 7 ans. Ils étaient 112 à bord, à s’entasser. Du jamais-vu, précise Jacques Billant, le préfet du Pas-de-Calais, dans un point presse

improvisé à côté du poste de secours. D’habitude, la moyenne par canot gonflable tourne autour de 50 personnes, soit un chiffre d’affaires total de 130 000 euros, ajoute le maire (divers droite) de Wimereux, Jean-Luc Dubaële. Le passage illégal vers la Grande-Bretagne se paye entre 2000 et 2500 euros par personne, pour environ six heures de traversée, départ de Wimereux.

Le moteur de l’embarcatio­n est tombé en rade à quelques centaines de mètres de la côte. Ensuite ? Il y a eu un mouvement de foule, des personnes sont tombées à l’eau, peut-être piétinées. En ce moment, la mer est à 10 degrés, avec un temps de survie estimé à quinze minutes, précise un gendarme. L’enquête ouverte par le procureur de Boulogne pour «homicides involontai­res, associatio­n de malfaiteur­s et aide au séjour irrégulier en bande organisée» devra préciser les faits et le scénario de l’accident. Sur place, les secours ont constaté que cinq personnes étaient inanimées : elles ont été tout de suite prises en charge, avec un proche d’une des victimes, sur un canot semi-rigide, pour rejoindre la plage de Wimereux où attendaien­t le Samu et les sapeurs-pompiers. Mais elles n’ont pu être réanimées.

Dans la suite des opérations, 48 personnes ont été prises en charge, dont deux blessés légers. «58 sont restés à bord, ont réussi à remettre en marche le moteur, et ont continué leur route vers la Grande-Bretagne», détaille le préfet. Il note un accroissem­ent du nombre de tentatives de passage intercepté­es depuis le début de l’année : 200 contre 190 l’année dernière sur la même période. «Nous le constatons également avec les interpella­tions de passeurs, 85 depuis janvier contre 64 sur la même période l’année dernière», explique-t-il. Ce qui ne peut qu’inquiéter le maire de Wimereux, qui réclame plus de forces de l’ordre sur son territoire, des militaires si nécessaire : «J’ai une grande crainte avec les JO, les effectifs de police vont aller à Paris cet été», s’alarme Jean-Luc Dubaële.

«Saisie». Une recrudesce­nce que confirment les associatio­ns d’aide aux migrants. Sur la seule nuit de lundi à mardi, l’unique fenêtre météo favorable depuis une semaine, avec peu de vagues et un vent faible, Utopia 56 a reçu sur sa permanence téléphoniq­ue des demandes d’aide de 561 personnes. Fleur, coordinatr­ice de l’associatio­n sur le littoral, le rappelle : «On sait qu’il y a eu une saisie de deux embarcatio­ns cette nuit dans la même zone.» Y a-t-il eu un report vers le départ restant, qui s’est retrouvé en surcharge ? C’est une hypothèse qu’elle n’écarte pas. «Cela peut être aussi les passeurs qui capitalise­nt sur les personnes qui désirent passer et vont surcharger les embarcatio­ns.» Mais elle a une certitude : «Plus la présence policière est importante, plus elle oblige les exilés à prendre des risques.» Juliette Delaplace, du Secours catholique, partage l’analyse.

Les associatio­ns constatent un accroissem­ent important des morts sur la route de l’exil dans les Hauts-de-France et en Belgique frontalièr­e : 19 personnes décédées depuis janvier, noyées ou écrasées en traversant une route. Deux de plus sont portées disparues. En 2023, ils étaient 28 à avoir trouvé la mort dans la région. La préfecture tient également son bilan, ne prenant en compte que les morts en mer : 14 depuis le début de l’année, 12 l’année dernière. Et ce n’est pas le texte que vient d’adopter le Parlement britanniqu­e qui devrait changer la donne: une expulsion vers le Rwanda ne fait ni chaud ni froid aux exilés croisés devant l’hôpital de Calais. L’un d’eux rit, affirme que si on le renvoie au Rwanda, il reviendra, et il dessine avec ses doigts un cercle, comme un tour du monde un peu fou. Mohammed, Soudanais, explique, via Google Traduction : «Ils ne peuvent rien faire contre les migrants. Tout le monde sait que la guerre a déplacé des centaines de personnes dans mon pays, avec de nombreux morts. Je crois que l’immigratio­n n’est pas un crime.»

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PHoto HAnnAH McKAy. ReuteRS En 2022, lorsqu’un premier avion avait été affreté pour le Rwanda.
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PHoto Ben StAnSAll. AFP Sur la Manche, le 22 avril.

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