Libération

Une politique qui inspire l’Italie et l’Albanie

Trois structures accueillan­t des migrants et gérées par l’Italie pourraient ouvrir leurs portes en Albanie dès le 20 mai. Une politique d’externalis­ation qui suscite l’intérêt de voisins.

- Kilian Bigogne

Secourus non loin des côtes italiennes, puis transférés dans des camps en Albanie. C’est ce qui attend près de 36 000 hommes et femmes chaque année, selon les estimation­s officielle­s. A partir du 20 mai, trois structures gérées par l’Italie –si leur constructi­on est terminée d’ici-là – traiteront les demandes d’asile des migrants naufragés en mer Méditerran­ée et intercepté­s par les autorités italiennes, tandis que les personnes sauvées par les ONG ne sont pas concernées par ce dispositif.

Détention. Cet accord signé le 6 novembre entre la Première ministre italienne d’extrême droite, Giorgia Meloni, et son confrère socialiste albanais, Edi Rama, s’inspire de la politique d’externalis­ation des procédures de demandes d’asile engagée par les différents gouverneme­nts conservate­urs britanniqu­es des dernières années et concrétisé­e lundi soir par le vote d’une loi emmenée par le chef du gouverneme­nt britanniqu­e, Rishi Sunak. Les trois élus s’étaient d’ailleurs rencontrés en décembre pour afficher leur convergenc­e concernant la lutte antimigrat­oire, posant les bases d’une possible contagion au sein de l’Union européenne. Après plusieurs mois de discussion­s et de différends à ce sujet, un ultime feu vert donné par le Parlement albanais le 22 février et une ratificati­on de la Chambre des députés italienne fin janvier, puis par le Sénat début février, voilà l’accord officielle­ment validé. L’Italie promet de payer l’entièreté des coûts de constructi­on et du fonctionne­ment des centres, estimés entre 650 et 750 millions d’euros, sur les cinq prochaines années. Mais les travaux ayant débuté seulement le 29 mars, pas sûr que tout soit prêt à temps pour accueillir les premiers migrants. Après avoir survécu tant bien que mal aux bateaux de fortunes, c’est tout un parcours administra­tif qui les attend en Albanie. Cette délocalisa­tion du traitement des demandes d’asile par les autorités italiennes commencera au port de Shëngjin, situé dans le nord du pays, où les procédures de débarqueme­nt et d’identifica­tion seront effectuées. Puis direction l’ancienne base militaire de Gjadër, 20 kilomètres plus loin. Là, un premier centre sera alors destiné aux procédures d’accueil et à un premier tri des demandeurs d’asile. Ceux susceptibl­es de rejoindre l’Italie, qui seront soumis à une vérificati­on des conditions préalables à la reconnaiss­ance de la protection internatio­nale, seront ensuite abrités dans un deuxième centre le temps que leur dossier soit constitué. Le troisième fera office de centre de détention pour ceux qui verront leur dossier refusé, avant d’être rapatriés vers leur pays d’origine. Au total, les trois structures pourront accueillir jusqu’à 3 000 personnes en même temps.

D’après l’accord, au cours de leur séjour, les demandeurs d’asile seront interdits de quitter les murs, de 7 mètres de hauteur, des centres qui seront surveillés par les autorités des deux pays. La police albanaise sera quant à elle responsabl­e de l’extérieur des camps et chargée du maintien de l’ordre au cours des transports des migrants. Au bout de trois mois, ils seront envoyés en Italie, si leur demande est acceptée, ou expulsés vers leur pays d’origine. Aucun des demandeurs d’asile ne pourra rester sur le territoire albanais. Ces centres seront gérés en vertu du droit italien et non du droit albanais, ce qui a rassuré une partie de l’opposition conservatr­ice en Albanie.

«Déshumanis­ant». Cette nouvelle politique de détention automatiqu­e a été qualifiée de «honte» par Amnesty Internatio­nal, qui a aussi fait part de son inquiétude sur les conditions de vie sur place. Pour l’ONG Internatio­nal Rescue Committee (IRC), cet accord est «déshumanis­ant». Le gouverneme­nt d’extrême droite assure que des structures médicales seront mises en place, et que les migrants bénéficier­ont d’une assistance juridique de la part de représenta­nts d’organisati­ons internatio­nales, dont l’Union européenne, conforméme­nt aux législatio­ns italienne, albanaise et européenne.

Très critiqué par les partis d’opposition dans les deux pays, et craint par les ONG, l’accord est très apprécié par plusieurs dirigeants européens. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui n’a pas été consultée sur l’accord, a évoqué «un modèle […] sortant des sentiers battus». Le groupe au Parlement européen dont elle est issue, le PPE (conservate­ur), s’est lui prononcé ouvertemen­t en faveur de ce modèle. En 2023, près de 158000 migrants sont arrivés en Italie, contre 105 000 en 2022. Pour faire face à l’augmentati­on des demandes d’asile, d’autres pays européens pourraient prendre exemple sur ce projet d’externalis­ation, en partenaria­t avec des pays qui souhaitent intégrer l’Union européenne, tels que l’Albanie. Le Danemark, qui avait un temps hésité à conclure un partenaria­t avec le Rwanda, mais aussi l’Autriche ou l’Allemagne, ont exprimé un intérêt pour ce type de projet.

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Photo StefAn RouSSeAu. ABACA L’ex-ministre de l’Intérieur Suella Braverman, à Kigali (Rwanda) en mars 2023.

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