Malgré son statut de terre d’accueil, le Rwanda rattrapé par le tollé
Vue de Kigali, l’indignation internationale suscitée par l’accord d’expulsion de migrants voté à Londres lundi soir a été accueillie par une certaine incompréhension.
C’est dans la région de Nyamata, à 40 kilomètres au sud de Kigali, qu’ont été construites les maisons censées accueillir à partir de juillet une première vague de 300 migrants venus du Royaume-Uni. Sur un terrain de 6 000 hectares, certaines de ces habitations seraient pourtant déjà occupées par des Rwandais à faibles revenus, «ceux qui n’ont ni terres ni logement seront les premiers à bénéficier de ces maisons», avait expliqué il y a déjà plus d’un an le superviseur du chantier. «Nous ne voulons pas créer de camps de migrants. Le mélange entre Rwandais et migrants […] permettra à ces derniers de mieux s’intégrer à la communauté rwandaise», ajoutait alors le porte-parole adjoint du gouvernement rwandais, selon le site Africanews.
Mais ces migrants, catapultés à plus de 6 500 km des côtes britanniques où ils ont accosté au péril de leur vie, ontils le moindre désir de s’installer au Rwanda ? Et de voir ainsi s’éloigner leur rêve d’une nouvelle vie après avoir pris tant de risques? Le principe de cette expulsion, actée par le vote à la Chambre des lords lundi soir, a suscité un tollé international, bien au-delà des frontières britanniques et jusqu’aux Nations unies. Le Rwanda s’est retrouvé ainsi accusé de contribuer à la mise en place d’une politique raciste de sous-traitance de l’immigration, que l’extrême droite européenne appelle de ses voeux.
«Frustrés».
«Attention, il ne faut pas confondre ! S’il y a des racistes, ce n’est pas nous. Vous pouvez accuser les Anglais de racisme mais ici, au Rwanda, on va accueillir des gens qui sont actuellement détenus, considérés comme indésirables, maltraités», souligne à Libé Me Gatete Nyiringabo. «C’est certain, ces gens n’ont jamais voulu venir à Kigali, et certains seront frustrés, repartiront, légalement ou clandestinement», constate l’avocat qui ne cache pas son admiration pour le président Paul Kagame : «Je lui fais confiance, il sait ce qu’il fait. Mais de mon point de vue personnel, ce deal n’était peut-être pas nécessaire. Tous les médias internationaux vont nous tomber dessus. Ne vont pas comprendre ce choix. Il tient certes aussi à des considérations diplomatiques, renforçant nos liens avec le gouvernement britannique, et peut-être en partie aux financements offerts», concède-t-il. Selon la presse britannique, l’accord entre Kigali et Londres coûtera 1,8 million de livres sterling (plus de 2 millions d’euros) pour chacun des 300 premiers expulsés. «Ce n’est pas négligeable, mais le Rwanda a aussi une politique d’accueil des réfugiés. Et c’est important dans un pays où le Président lui-même a été un réfugié. Il sait ce que ça signifie», explique Gatete Nyiringabo. Au sein du régime qui a pris le pouvoir à la fin du génocide des Tutsis en 1994, nombreux sont en effet les dirigeants qui ont grandi dans les pays voisins, après avoir fui leur pays natal à la suite des premiers pogroms qui, depuis 1959, ont précédé le génocide de 1994. Désormais, les Rwandais ne fuient plus leur pays, mais accueillent beaucoup de réfugiés. 100 000 réfugiés congolais et 48 000 burundais, venus des pays voisins. Mais aussi, depuis 2019, 2 150 migrants évacués des camps de détention en Libye. Depuis le Rwanda, 75 % d’entre eux ont repris les processus de demandes d’asile et se sont réinstallés dans des pays occidentaux, dont 141 en France, 496 au Canada et 255 en Suède. «De la même façon, il n’a jamais été question que ceux qui arriveront du Royaume-Uni soient obligés de rester au Rwanda toute leur vie. Certains s’intégreront, d’autres reprendront les démarches pour aller ailleurs», souligne Joseph Nsengimana, rescapé du génocide et plusieurs fois ministre après 1994. «Un bureau où figure un représentant britannique a été mis en place qui permettra de gérer au fur et à mesure les demandes et les besoins de ces migrants», explique-t-il. Lui aussi insiste sur la politique d’accueil adoptée par le pays, invoque l’ADN de l’histoire récente du pays.
Inconnu. En 2021, le Rwanda a également accueilli une école pilote pour les filles afghanes, évacuées de Kaboul in extremis, vingt-quatre heures avant le retour des talibans au pouvoir. Deux ans plus tard, ce sont près de 200 étudiants en médecine fuyant l’irruption de la guerre civile au Soudan qui ont atterri à Kigali où ils ont repris leurs études. Ceux-là, comme les réfugiés venus de Libye, ont pu être soulagés de fuir le chaos et la violence. Mais avec les migrants expulsés du Royaume-Uni, le Rwanda s’engage sur un terrain inconnu à la suite d’un deal qui, en Europe, ne réjouit que les responsables xénophobes.