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Céline Dion révélatric­e de la culture du jeunisme

- Par Sabrina ChampenoiS Chroniqueu­se société

Le numéro paraît ce mercredi : Céline Dion fait la couverture du magazine Vogue France et l’objet d’un long entretien en pages intérieure­s. Vu la rareté des apparition­s publiques et des interviews de la star québécoise depuis qu’elle a révélé être atteinte du «syndrome de la personne raide», on est au bord du scoop. Bonus, «Céline» parle vraiment, et on a beau connaître son histoire et ne pas être fan de son répertoire, elle a une façon de se raconter qui emporte, mix de vulnérabil­ité et de combativit­é. Si la couverture de Vogue titre «Le grand retour Céline Dion», la reine des scènes de Las Vegas ne joue pas les triomphant­es, n’élude pas les difficulté­s, décrit (tout en reconnaiss­ant ses avantages de riche) le quotidien en dents de scie d’une personne atteinte d’une affection de longue durée : «Je n’ai pas combattu la maladie, elle est toujours en moi et pour toujours.» Se battre ou renoncer ? «Ou je m’entraîne comme une athlète et je travaille super fort ou je me déconnecte et c’est terminé.» Elle nous scie d’un enfantin «Mon but est de revoir la tour Eiffel !» Mais repartir en tournée est loin d’être gagné : «Aujourd’hui, je ne peux pas vous dire : “Oui, dans quatre mois.” Je ne sais pas… Mon corps me le dira.»

La suite de l’entretien, qui revient sur sa carrière, confirme une bourrasque. A propos de l’adolescenc­e : «Ai-je manqué quelque chose ? Je n’ai jamais eu le temps d’avoir tout ça. Alors je ne peux pas comparer. Ai-je des regrets ? Je ne sais pas, je n’en sais rien et je m’en fous parce que la scène, ma famille, mes enfants, mes chansons m’ont tout appris.» La machine à tubes est cash aussi, sur la recette du succès : «Mon mari m’avait dit que le talent c’est 20 à 25 %, après il faut avoir de bonnes chansons, le bon timing, la bonne équipe. Si la pièce du puzzle n’entre pas, ça ne sert à rien.» Et la cadette d’une famille modeste, de quatorze enfants, connaît la valeur travail, dit à propos de la mode dont elle est une connaisseu­se notoire : «J’ai toujours tout acheté. Je ne voulais pas emprunter. C’est une forme de respect. Les gens payent pour venir m’entendre chanter. Alors je paie pour m’offrir des vêtements de designers.» Une phrase nous chiffonne tout de même. Quand, à la fin, Céline Dion dit : «Je suis honorée de faire un photoshoot pour Vogue France. Car lorsque j’ai été au mieux de mon physique et de ma beauté, à 30 ans, on ne me l’a jamais demandé. Je suis très fière qu’à 55 ans, on me demande de révéler ma beauté.» L’une des couverture­s du numéro la montre, dans une pose de show-woman, en chemise blanche grand ouverte (une main cache le sein qu’on ne saurait voir), shorty, l’autre, façon princesse, en robe rose poudré. Mais pourquoi donc serait-ce un honneur, pour une femme de 55 ans, de faire la couverture d’un magazine de mode ? Céline Dion n’exprime là, en sous-main, qu’une réalité : malgré les promesses d’inclusivit­é et de renoncemen­t à la culture du jeunisme, cela reste rare. Le couperet de l’invisibili­sation liée à l’âge commence d’ailleurs, pour les femmes, à tomber bien plus tôt, au jugé à partir de 35 ans. Et il faut souvent être people pour bénéficier de dérogation­s. Le mouvement «silver» a beau gagner en visibilité, préserver sa jeunesse figure parmi les obligation­s qu’on nous martèle dès la vingtaine venue, endiguer la vieillesse s’impose dès la trentaine.

Par ailleurs, la trajectoir­e de Céline Dion vaut bien, en soi, une couverture, hors toute considérat­ion esthétique non ? La chanteuse pointe d’ailleurs : «Mais c’est quoi la beauté ? La beauté, c’est vous, c’est moi, c’est l’intérieur, ce sont nos rêves, c’est aujourd’hui.» C’est vague, et très exact. Plus encore que les photos de Céline Dion dans Vogue, ce qui est touchant (et donc une forme de beauté), c’est ce qu’elle raconte. Une vie.

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Photo KevIn WInter. Getty ImAGes. AFP Céline Dion à Los Angeles, le 4 février.

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