LFI La cause palestinienne, clé de joute de la campagne
Pour mobiliser son électorat, La France insoumise fait du soutien à Gaza un axe central de sa stratégie aux européennes. Substituant le duo Mélenchon-Hassan à la tête de liste Manon Aubry, sur fond de polémiques et de convocations pour «apologie du terrorisme».
Il est un peu plus de 21h30 lundi, quand l’amphithéâtre Boutmy de Sciences-Po s’enflamme. Après avoir religieusement écouté Jean-Luc Mélenchon pendant un peu moins de deux heures, plusieurs centaines d’étudiants chantent et tapent des mains. «On est là, on est là, pour l’honneur de la Palestine, et pour ceux qu’on assassine, même si Sciences-Po ne veut pas, nous on est là», reprennent-ils en choeur sur un air popularisé par les gilets jaunes. La même scène se reproduit quelques instants plus tard hors de l’établissement. «Israël assassin, Sciences- Po complice», entonnent les élèves, embrassant la grande cause du moment de LFI.
Devant un amphi plein à craquer, le leader insoumis est notamment revenu sur la comparaison qu’il avait faite, la semaine passée, entre le directeur de l’université de Lille, qui avait annulé une autre de ses conférences, et le nazi Adolf Eichmann. Le propos avait suscité de nombreuses condamnations. Sans tout à fait renier le parallèle, se référant aux thèses de Hannah Arendt sur la «banalité du mal» et à «“l’argument Eichmann” : je ne suis pas coupable d’un crime, j’ai exécuté les ordres». Surtout, le triple candidat à la présidentielle a discouru sur le conflit israélo-palestinien. «Notre pensée est entièrement tournée vers ceux qui sont en ce moment massacrés à Gaza», a ainsi lancé le tribun. Une constante ces temps-ci : les insoumis ont décidé de faire de la guerre entre le Hamas et Israël (lire pages 8-9) le grand sujet de leur campagne pour les européennes. Plus aucun meeting ni réunion publique sans que leurs orateurs ne martèlent les appels au cessez-le-feu, ne défendent l’idée un embargo sur les livraisons d’armes à Israël ou ne demandent des sanctions contre le gouvernement de Benyamin Nétanyahou. «Ils savent que l’enjeu palestinien fait le buzz, ça leur permet d’exister», grince un socialiste qui voit dans la stratégie insoumise, un moyen de «décentrer les débats» autour du scrutin européen du 9 juin.
«Un sUjet eUropéen»
Les insoumis, au contraire, estiment que le sujet a pleinement sa place dans la campagne. «La question palestinienne est aussi un sujet européen», affirme Rima Hassan, figure française de cette cause, en 7e position sur la liste menée par Manon Aubry. «Beaucoup d’entreprises européennes sont impliquées dans la colonisation. Il y a aussi cet accord d’association entre l’UE et Israël, toujours en vigueur alors qu’il y a mille et une raisons pour y mettre fin.» Enfin, il y a «urgence» à mettre la question sur la table tant la situation à Gaza est critique, avancent également les mélenchonistes. «Le thème prend de la place parce qu’il y a plus de 30000 morts dans la guerre», note le député Antoine Léaument, pour qui «la centralité de la question est surtout due à l’actualité». Actualité ou pas, les insoumis avaient de toute façon prévu de faire de la question l’un de leurs principaux axes de campagne, alors que la
guerre fait rage depuis l’attaque terroriste du 7 Octobre. C’est ainsi que le 6 mars, le mouvement officialisait, non sans plaisir, l’arrivée sur leur liste d’«Union populaire» de Rima Hassan présentée comme «une grande spécialiste du droit international» qui serait capable de parler aux quartiers populaires. A moins de cinquante jours du scrutin, la trentenaire occupe désormais une place très importante dans la campagne. Elle était la tête d’affiche, avec Jean-Luc Mélenchon, de la conférence sur la Palestine interdite à deux reprises à Lille la semaine dernière. Pendant ce temps-là, la tête de liste Manon Aubry, grande spécialiste des questions de redistribution et de libre-échange, peine à se faire voir et entendre. «Dire que Rima prend trop place, c’est injuste pour le travail que fait Manon», regrette Antoine Léaument.
«Je prends de la place parce que les gens m’attaquent. Si on ne me ciblait pas comme ça, je serais moins sur le devant de la scène», estime Rima Hassan, convoquée par la police le 30 avril pour «apologie du terrorisme», pour des propos non spécifiés à ce jour (lire ci-contre). Mardi, la présidente des députés LFI, Mathilde Panot, a annoncé avoir été convoquée pour le même motif. Est visé un communiqué publié par son groupe le 7 octobre qui mettait en parallèle l’attaque du Hamas, décrite comme «une offensive armée de forces palestiniennes», et «l’intensification de la politique d’occupation israélienne». De quoi, cette fois au corps défendant de LFI, renforcer la place du sujet dans la campagne. Chez les insoumis, on sait que le score de Manon Aubry le 9 juin dépendra surtout de la participation de sa base, et que celle-ci est, plus que pour d’autres partis, susceptible de s’abstenir aux européennes. Pour
insoumis, parler autant de la situation à Gaza est un bon moyen de mobiliser cet électorat, souvent sensible à la cause palestinienne. «C’est un sujet qui pousse des gens à manifester dans la rue, il n’est donc pas illogique de penser qu’il peut mobiliser pour le vote», assure Léaument. D’aucuns y voient aussi un moyen de draguer les quartiers populaires. Une injure pour Mélenchon. «Ceux qui disent que je suis clientéliste sont des racistes, des islamophobes. […] Oui, nous voulons faire voter les quartiers populaires, et alors ? Ils disent “quartiers populaires”, mais en réalité, ce qu’ils pensent, c’est musulmans, donc antisémites», s’est-il agacé lundi soir à Sciences-Po.
FIdèle à sa lIgne
Avec cette stratégie, LFI reste en fidèle à sa ligne qui consiste à avancer sans se soucier des attaques du reste du monde politique. Depuis le 7 Octobre, c’est bien ce sujet, et notamment le refus de qualifier le Hamas de mouvement terroriste, qui vaut aux insoumis d’être régulièrement accusés de flirter avec l’antisémitisme. Un thème qui a cristallisé les crispations avec les autres partis membres de la Nupes, et entraîné la dissolution de facto de l’alliance, actée notamment par le député socialiste Jérôme Guedj. Ce dernier est aujourd’hui accusé par son ex-mentor Mélenchon d’être responsable de la double interdiction de la conférence de LFI à Lille la semaine dernière: c’est le socialiste qui, le premier, avait pointé du doigt le logo de l’association organisatrice «Libre Palestine», accusé de nier en image la légitimité de la nation israélienne. Jeudi, lors d’une mobilisation «contre la censure», Mélenchon n’a pas manqué de qualifier son ancien disciple, sans le nommer, de «lâche» et de «délateur». Théoriquement unies dans leurs voeux pour la paix au Proche-Orient, les gauches en sont, pour ce qui concerne leurs propres relations, plus loin que jamais.