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«Apologie du terrorisme» : une multiplica­tion des procédures contre la gauche

Des personnali­tés et organisati­ons de gauche ont été récemment inquiétées par la justice pour ce chef d’accusation après des propos en lien avec l’attaque du 7 Octobre. Elles dénoncent une manière d’éteindre les critiques envers Israël.

- IsMaëL HaLIssat FabIen Leboucq

La présidente des députés LFI, Mathilde Panot, la candidate insoumise aux européenne­s Rima Hassan, le secrétaire départemen­tal de la CGT du Nord, Jean-Paul Delescaut, des syndicalis­tes de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, la militante antiracist­e Sihame Assbague… En quelques semaines, plusieurs personnali­tés et organisati­ons de gauche ont été mises en cause par la justice pour «apologie du terrorisme». A chaque fois, ce sont des propos en réaction à l’attaque du Hamas du 7 Octobre qui sont visés. Mardi sur X, l’ancien candidat LFI à l’élection présidenti­elle Jean-Luc Mélenchon a réagi à l’annonce de la convocatio­n de Mathilde Panot pour une audition devant un service de police judiciaire, en dénonçant un «événement sans précédent dans l’histoire de notre démocratie». Il estime que ces procédures visent à «protéger un génocide». Selon un communiqué de la cheffe des députés insoumis, ce sont les propos tenus dans un tract du 7 octobre qui sont visés: «L’offensive armée de forces palestinie­nnes menées par le Hamas

nd intervient dans un contexte d’intensific­ation de la politique d’occupation israélienn­e à Gaza, en Cisjordani­e et Jérusalem Est. Nous déplorons les morts israéliens et palestinie­ns.»

Procédures revendiqué­es. L’infraction d’apologie du terrorisme apparaît dans le droit français en 2006, dans la loi de 1881 sur le droit de la presse. En 2014, ce délit est intégré au droit commun, dans le Code pénal. L’apologie de terrorisme peut donc, depuis cette date, justifier une détention provisoire, faire l’objet d’un jugement en comparutio­n immédiate, et n’est plus prescrite au bout de trois mois. «Il ne s’agit pas en l’espèce de réprimer des abus de la liberté d’expression, mais de sanctionne­r des faits qui sont directemen­t à l’origine des actes terroriste­s», justifiait l’exposé des motifs du projet de loi porté par le socialiste Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur.

Avant 2006, existait le délit d’apologie de crime, créé à la fin du XIXe siècle, dans les «lois scélérales tes» visant les anarchiste­s. «Il s’agit alors de punir les discours de gauche qui gênent le pouvoir, rappelle la politologu­e Vanessa Codaccioni, enseignant­e à Paris-VIII et autrice de plusieurs livres sur la répression politique. Ensuite ça a été utilisé contre des groupes militants considérés comme des ennemis intérieurs.»

L’origine des nombreuses procédures visant des personnali­tés de gauche, dans le cadre desquelles ont lieu des convocatio­ns ces dernières semaines, a été revendiqué­e par deux associatio­ns juives. A la fin janvier, l’associatio­n Jeunesse française juive. Certaines des enquêtes ont également été initiées par des représenta­nts de l’Etat. Le 12 octobre, le préfet du Nord, Georges-François Leclerc – aujourd’hui directeur de cabinet de la ministre de la Santé–, avait écrit au procureur de la République de Lille pour dénoncer les propos tenus dans un tract de l’union départemen­tale de la CGT. «Dans ce document, il est clairement fait état d’un soutien à l’action violente entreprise actuelleme­nt par le Hamas», écrivait-il. Le tract indiquait : «Les horreurs de l’occupation illégale se sont accumulées. Depuis samedi [7 octobre] elles reçoivent les réponses qu’elles ont provoquées.» Jean-Paul Delescaut, secrétaire général CGT du Nord, a été condamné le 18 avril à un an de prison avec sursis pour apologie du terrorisme. Un appel a été interjeté.

«Ingérence». La France a connu un nombre record d’actes antisémite­s en 2023 : ils sont passés de 436 à 1 676 en un an, comme le rapportait Libération en janvier. Une hausse qui a eu lieu principale­ment après l’attaque terroriste menée le 7 Octobre par le Hamas, avec une augmentati­on de 1000% des actes antisémite­s en octobre et novembre. «Tous les jugements favorables au terrorisme doivent être dénoncés, mais ce n’est pas ce à quoi nous assistons, dénonce Arié Alimi, avocat de JeanPaul Delescaut. Il s’est mis en place une organisati­on structurée visant à criminalis­er et donc éteindre la parole des soutiens à la cause palestinie­nne.» Vincent Brengarth, l’avocat de Rima Hassan, dénonce «une ingérence, dans un moment décisif pour la campagne électorale». Les risques que font peser les poursuites pour apologie du terrorisme sur la liberté d’expression ont été pointés par la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt de 2022, appelant la France à la «retenue dans l’usage de la voie pénale, tout spécialeme­nt s’agissant du prononcé d’une peine d’emprisonne­ment».

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